Nous sommes voués à toujours nous heurter à la même clôture, l'homme, l'oeuvre, l'oeuvre à vie autonome, dédouanée de ses initiateurs, de leur biographie, autobiographie, de l' "éclairage" que ce qu'ils ou elles en disent est supposé nous apporter, à nous, yeux et oreilles, qui absorbons, digérons, assimilons, régurgitons.
On a régulièrement le ventre ouvert des Céline et de ses voyages, et de tant d'autres, qui offre à nos perspicacités critiques le droit d'exprimer leur censure, leur bon droit, jetant par principe dans un même mouvement de vérité historique le bébé et l'eau de son bain.
Evidemment c'est une forme de postulat, que la vie, les idéologies plus ou moins macabres, et surtout le pathos des créateurs seraient absolument assimilables à ce qu'ils ou elles en ont fait.
Que ce qu'on croit, au détour de tel ou tel article, de telle ou telle biographie, comme si, allons, on pouvait vraiment savoir ce qu'il en est d'une vie dans sa consistance en utilisant quelques lettres et quelques dates, comme si, à décrire cette vie à travers quelques détails qu'on croit connaître, on pouvait prétendre en maîtriser le sens, dans un acte de candeur ou de malhonnêteté.
La génétique pression de la causalité sur nos esprits nous ronge, nous pousse aux faciles prairies où l'on comprend enfin de quoi c'est fait, l'art.
C'est "parce que", et ça suffit, on a enfin compris pourquoi cette oeuvre n'est point muette.
Mais on a aussi effacé l'essentiel, en y cherchant la racine là où même celui ou celle qui l'a fait croître n'en sait rien, n'en saura jamais rien parce que s'il ou elle savait, s'arrêterait cette nécessité souvent vitale de l'extraire, la vie durant, pour un public absent, pour un péché sans rémission, une faute improbable sans espace autre que cette toile pour la voir absoute, car, avouons-le nous et n'en faisons pas une dépression pour autant, on n'en sait rien voyez-vous, on n'en sait rien de ce qui crée.
Et donc, le biographe le plus précis et zélé ne peut s'adonner qu'à une forme d'agiographie plus ou moins éclairée car lui aussi régle ses comptes, sans savoir pourquoi ce qu'il écrit sur celui qui écrit se doit de se faire lire ou de se dire. Et donc, de ceci, on n'en sort pas.
A moins de créer une sorte de code éthique du spectateur, de zone prioritaire avec une charte qui associe à sa posture de voyeur, le devoir et le droit aussi, de rester seul.
Seul c'est à dire sans l'artiste présumé derrière, sans les voix des experts qui tissent son ancienne existence, sans l'épaule du spectateur qui en sait quelque chose de plus, sans rien que l'oeuvre.
Et ce rien là, justement ce n'est pas rien, c'est même tout le travail du spectateur qui peut le lier, une fois accompli, ou du moins au long de ce processus, vers une relation transcendante, unique, entre ce message indescriptible et lui-même.
Le volet le plus pénible peut-être de cette saturation du discours
sur l'oeuvre est celui du laïus du créateur lui-même. Comme si il en savait lui, quelque chose, de ce qui a dû donner cette forme-ci, ou cette forme-là à ce dont il parle, comme si l'alchimie inconsciente et sa force spécifique, autrement dit ce que pourrait recouvrir le terme de "talent", pouvaient être éclairées par quelques rationalisations, par l'exposé plus ou moins subtil d'une " démarche".
Il suffirait donc de pouvoir "en parler" c'est à dire de ramener la création dans la champ, supposé maîtrisable car partageable, du discours verbal, pour se dédouaner du poids mort spécifique de l'art, de sa notoire immatérialité consciente, venue de lieux non identifiables mais sans cesse actifs dans la mystérieuse alliance des paradigmes de nos psychés.
sur l'oeuvre est celui du laïus du créateur lui-même. Comme si il en savait lui, quelque chose, de ce qui a dû donner cette forme-ci, ou cette forme-là à ce dont il parle, comme si l'alchimie inconsciente et sa force spécifique, autrement dit ce que pourrait recouvrir le terme de "talent", pouvaient être éclairées par quelques rationalisations, par l'exposé plus ou moins subtil d'une " démarche".
Il suffirait donc de pouvoir "en parler" c'est à dire de ramener la création dans la champ, supposé maîtrisable car partageable, du discours verbal, pour se dédouaner du poids mort spécifique de l'art, de sa notoire immatérialité consciente, venue de lieux non identifiables mais sans cesse actifs dans la mystérieuse alliance des paradigmes de nos psychés.
Ce documentaire, " The road to Saint Paul " est une sorte de modélisation des effets dévastateurs de l'expertise.
Le spectateur qui ici, aurait tant voulu pouvoir se laisser faire, faire c'est à dire emporter, malaxer, brutaliser, ennuyer, à la qualité incontestable des oeuvres du vidéaste si exceptionnel qu'est Bill Viola mais qui, à chaque nouveau plan sur le " processus de création" était arraché à cette sorte de bienheureuse fascination pour devoir être initié, grâce à l'intervention et à son discours sur son travail, à ce qui était supposé devoir être, ressenti ? apprécié ? compris également ? savouré mieux ? plus ? mais sur lequel la logorrhée technicienne et mystico-symbolique de l'auteur sur la genèse et les étapes de son travail exerçait malgré toute sa légitimité, un effet de parasitage.
Il y a entre l'oeuvre et sa perception une sorte de rituel nécessairement pur, une voie qui ne se doit d'être encombrée par aucun a priori, aucune nuisance signifiante, voire, ceux et celles qui ne peuvent se sentir chez eux dans un musée qu'à la condition d'y être seul comprendront, une voie où aucun autre ne vienne mettre son propre bruit, fût-il celui d'une expertise ou d'une confession.
Le point de jointure de l'oeuvre et de la réception par son spectateur est loin en-deça des raciocinations, fussent-elles celles d'une reliogiosité supposée être à la source du travail et ce point est, par nature, innommable.
Ce dont on parle quand on parle l'oeuvre, ce n'est pas de cette expérience unique, dont la pratique donne, au fur et à mesure de son expérimentation, une connaissance de plus en plus approfondie de ce lieu intime, lieu d'une expérience où justement l'art ne s'énonce pas..
Il s'agit d'un lieu où le discours sur l'art est banni par nature, d'un lieu où chaque artiste a dû, de gré ou de force, déposer quelque chose d'inqualifiable qui est ce qui protège la pureté à laquelle il était fait allusion plus haut. Et cette pureté du lien, elle est unique et exige le silence autour de ses deux antennes.
Elle est unique car aussi, ce qui est donné au spectateur, c'est ce que l'oeuvre devenue visible a matérialisé de séparation d'avec son créateur. Le spectateur est en droit de ne pas souhaiter devoir séjourner avec l'artiste, il a autre chose à faire, il a à traiter de l'abandon de l'oeuvre par son auteur, abandon du discours sur l'oeuvre, des projets de modification ou d'évolution de l'oeuvre par son auteur, abandon d'une intimité qui s'exerçait comme une passion entre l'artiste et sa production, et qui, maintenant, passe entre les mains de celui qui regarde.
Elle est unique car aussi, ce qui est donné au spectateur, c'est ce que l'oeuvre devenue visible a matérialisé de séparation d'avec son créateur. Le spectateur est en droit de ne pas souhaiter devoir séjourner avec l'artiste, il a autre chose à faire, il a à traiter de l'abandon de l'oeuvre par son auteur, abandon du discours sur l'oeuvre, des projets de modification ou d'évolution de l'oeuvre par son auteur, abandon d'une intimité qui s'exerçait comme une passion entre l'artiste et sa production, et qui, maintenant, passe entre les mains de celui qui regarde.
Que Viola se laisse aller à se définir en sus, à évoquer les méandres de sa quête d'absolu au parfum d'une sorte de new-age californien et à la simplicité symbolique presque tristement post-moderne, c'est évidemment son choix.
Par contre, ce niveau d'interprétation obligé, le choix d'une illustration de son questionnement ou de ses croyances sur la réincarnation, la mort, la vie éternelle et, comme une imposition de sens, sur ce qu'il en dit, sont une forme de violence faite au droit de tout spectateur, puisqu'il a fait ce choix de rendre une part de lui-même visible qui soit hors-langage, de faire jouer à son insu, ses propres codes et sa propre sensitivité comme matrice de son expérience face à l'oeuvre, face à l'oeuvre sans lui octroyer sa légitimité à force d'interprétation univoque et de formulation de sa "vérité".
Il est envisageable de signifier qu'en s'adonnant à ce qu'il semble concevoir comme possible de l'explication, de la légitimation aussi, il a peut-être manqué une des caractéristiques intrinsèques de son art, et ce faisant gâché en grande partie ce qu'il ignorait devoir lui confier en le confiant au yeux du spectateur.
Il est envisageable de signifier qu'en s'adonnant à ce qu'il semble concevoir comme possible de l'explication, de la légitimation aussi, il a peut-être manqué une des caractéristiques intrinsèques de son art, et ce faisant gâché en grande partie ce qu'il ignorait devoir lui confier en le confiant au yeux du spectateur.
Il s'agit d'un plaisir froissé alors, devenu impatient et rageur, comme devant un dû dont il aurait été spolié.
Quel dommage. EG