10.02.2018

La pensée à niveau

"Pas trop tôt" est devenu une sorte de formule consacrée. Consacrée au délai parfois surprenant des médias supposés éclairer leur temps pour donner quelques signes de phénomènes actifs dans la massification et des effets délétères qu'ils peuvent avoir sur tous, et sur chacun. 
Individu auto-proclamés rois et reines d'eux-mêmes, positionnés avec la radicalité d'un discours binaire, immobilisé,  sans le "oui mais" argumentatif, position prises en écho, en un quart de seconde sur toutes les questions cruciales mais sans réponse qui nécessiteraient un travail d'étude, de soi ou de l'autre et de recherche préalables. Discours contraint, navigant dans l'illusion d'une "opinion" qui pourrait être propre quand même parler de soi est devenu une psalmodie de clichés et que ce n'est qu'à travers cette uniformisation que chacun peut s'espérer reconnu par ses pairs, virtuels ou non. 
Girard a de beaux jours devant lui qui a pointé la dimension mimétique de toute appartenance. Le nivellement de toutes les cultures et de leurs richesses spécifiques, au coeur de laquelle l'Humain pouvait puiser pour se dire presque à l'infini a généré une explosion de corps tatoués, d'images sans symbolique, condamnées à ne dire qu'elles-mêmes, partageant le même discours et le même temps social, ayant les mêmes révoltes et les mêmes façons de catégoriser leurs passions elles aussi condamnées aux arcanes du Bien vs le Mal dans un "sentimentalisme" ravageur et censeur dont la référence pourrait être confiée à l'histoire de Walt Disney et à sa façon d'appréhender le récit des ambivalences. Le glissement du discours politique ayant perdu l'illusion de sa propre crédibilité a été remplacé par le discours d'un nouvel ordre moral, dans le contexte des diverses poussées d' "ismes" et surtout dans leurs manifestations presque impudiques du bon droit "contre" le reste qu'elles supportent et qui les supporte, on peut voir les traces de ce pathos sentimentaliste, de cette mise en valeur d'une vérité du coeur, du bien, bloquant tout possible échange, c'est à dire va et vient des idées dans une mise en cases désignant comme dans toutes les formes de totalitarisme, les bonnes voies, victimisées toutes par le mal supposé être éradiqué. Un passage de Melman vient à point, " Autrement dit, cette nouvelle façon de jouir, ( il fait référence à la paranoïa devenant norme sociale) implique la séparation rigoureuse d'un dehors et d'un dedans, c'est à dire, également, cette distinction que reprend l'opposition du bon et du mauvais qui vient si facilement, d'ailleurs, se substituer ou annuler la différence des sexes, l'opposition de sexes et qui est génératrice d'un nouvel ordre moral. En effet quand la moralité entre dans le registre de cette sorte de prévalence, de permanence, d'insistance qui la constitue en ordre, on peut bien vor comment ce dispositif paranoiaque, la division d'un dehors et d'un dedansrecouverts par un bon et un auvais, supporte un nouveau type d'ordre moral, et nous voyons très bien parmi nous, même de façon surprenante chez des gens capables de réflexion et d'analyse politique, qu'on pouvait supposer réfractaires à l'idée de faire valoir un ordre oral, c'est à dire de portr sur le monde cette sorte de regard qui consiste à trancher sans cesse, à séparer le bien et le mal, et à ordonner sans cesse le rapport à son prochain sur un tel dispositif.  Une globalisation qui en modelant l'image, a coupé la nécessaire ondulation de ses racines, le mouvement vers elle s'effectuant pour chacun d'abord de l'extérieur virtuel à l'expérience, modélisant celle-ci, avant d'être à nouveau, homogène et standardisé, relancé sur les réseaux pour être dûment validé par "les autres" pareils. 
Les correcteurs des travaux du concours de l'ENA l'an passé, se désolaient de l'absence de pensée un peu corrosive, un peu dérangeante, toutes les productions ayant le même goût, ciselé, sans risque. C'est un mal endémique. Il semble que l'individualisme poussé à son point extrême ne soit pas de tout repos pour la créativité. C'est un paradoxe, actif chaque jour dans les sursauts de la bien-pensance qui pèse dans l'air. On s'emmerde dans le chaos.EG

Charles Melman; Une enquête chez Lacan ed. Eres p.125




Ce qui ne nous tue pas ... N°2