5.28.2025

Faire de la place

Faire de la place 
 
 Le plus étrange, étrange à cause de la légèreté avec laquelle la question semble "tranchée", comme un poids dont collectivement il s'agirait de se débarrasser pour pouvoir sans scrupules passer à autre chose, c'est la sorte d'évidence dans laquelle les "partisans" de l'euthanasie ont sectionné la branche du doute.
Libération. Soulagement. Hourras même comme pour une avancée méritée sur la voie sans but du progrès.
Là, une fois de plus, comme sur l'évidence de l'avortement, l'évidence de la vaccination, l'évidence de la transsexualité, non comme des lignes de traine de la lente et douloureuse plongée de l'humain dans sa propre méconnaissance et dans la bascule qu'il a utilisée vers un état de l'espèce qui pourrait "se régler", sans à-coups, sans tension, sans scrupules, qui le mettrait, dans sa perspective d'individu partie prenante d'un "public", rôle auquel dorénavant nous sommes tous astreints, à l'abri par "un droit" acquis de haute lutte. Là, dans l'administration du produit léthal, "droit à mourir dans la dignité"
Ce qui pousse derrière ce "droit" à la dignité incarné dans un "choix" effectué dans des conditions sommes toutes assez manipulables , c'est l'idée que la souffrance, quelle qu'elle soit ne pourrait être partie prenante de la dignité. La souffrance, physique, morale, qui pourtant est une constante de notre destinée en tant qu'espèce, sous tant de formes, tant de terreurs, tant de manifestations de notre incapacité à éradiquer la violence comme donnée phylogénétique inhérente à la vie-même.
En quoi donc, la suppression volontaire de cette souffrance serait-elle un acte de bienveillance pour soi-même et pour son prochain non pas pour lui épargner les âffres de la souffrance mais pour l'aider à atteindre une sorte de " dignité" " dans l'accès à la mort. 
On a, dans cette marche collective vers l'anesthésie généralisée comme finalité de tout progrès : confort, bien-être, développement de soi, positivité etc. rencontré la même inquiétude dans l'apport encore une fois technomédical, de la péridurale dans l'accouchement, opération qui, dans un contexte similaire de "passage" existentiel fondateur permet de neutraliser, de banaliser cet évènement unique à travers l'idée que la douleur de mettre bas ne serait pas parti prenante de sa dimension sacrée.
Qui peut savoir, sous ces généralisations de la recherche de la "dignité" , ce qu'il en est de l'expérience de l'agonie ? 
Qui peut savoir , sauf à être ce spectateur impuissant et impatient qui a hâte que "ça" se produise, ce qu'il en est du travail de gestation de la mort à venir, dans la psyché comme dans le corps de celui qui s'en va ?
Il est assez étonnant, quand on croise le nombre de démarches de quête d'une parole venue de l'au-delà pour ceux qui y croient, ou quand on se réfère aux tentatives de criogénisation pour accéder à une vie éternelle, que cette dimension d'un processus, long, évidemment souvent douloureux ne soit pas envisagé comme quelque chose qui "nous " dépasse et sur lequel on n'ait pas d'intrusion triviale à se permettre.
Agonie, c'est angoisse. Angoisse de mort. Mais angoisse pour qui, sinon avant tout pour ceux qui, autour du moribond, assistent à leur propre mort anticipée avec effroi.
Agonie, c'est avant tout la séparation ultime d'avec ceux qui restent avant d'être celle d'avec son corps. 
 Abréger les souffrances, bien sûr ; la douleur est un baillon absolu, un monopole tyrannique de la conscience où le sujet disparait et il parait légitime que cette horreur d'un corps traître de soi, d'un corps devenu ennemi et bourreau, ne laissant pas de répit à ce qui lutte encore pour y être soit allégée au mieux, mais ce qui s'opère quand celle-ci peut-être atténuée, éloignée, c'est un travail qui met chaque chose à sa place et avant tout donne à la vie qui s'achève ses droits d'avoir été.
Car si on peut réclamer de la dignité, n'est-ce pas dans la menée à terme de sa propre existence et dans ce qu'on lui doit comme compte ? Comme une affaire à régler avec soi-même avant tout, à laquelle les autres assisteraient sans rien y comprendre ?
Ce qui est simplement choquant, dans de multiples évocations du recours à l'euthanasie, "Quelques heures de printemps" de Stéphane Brizé, par exemple, c'est l'aspect banal, ordinaire de cette démarche suicidaire, et le côté absolument sordide, ou pire, laid et anodin, du lieu où le "soin" létal s'administre. Au fond, dans cet exemple, au vue de l'existence du personnage qui veut disparaître, la maladie peut sembler une justification par rapport au vide sidéral de ces heures qui défilent sans substance, comme si au fond, la vie elle-même avait déserté depuis longtemps l'horizon et que matérialiser la mort, n'était qu'une façon de clore une histoire de l'ennui.
Mais ce qu'on peut tout de même se dire, au-delà des craintes, légitimes, d'abus non régulables, ici, on ne mentionne pas l'infâme "aide active au suicide", qui elle aussi semble révéler le fait, évident avec la covid, c'est que vivre ou mourir dans cet univers transhumaniste, c'est exactement pareil. 
Plusieurs vagues de fond scandant les discours montrent quotidiennement les modifications des valeurs et les paradoxes, cohabitant sans jamais être mis en balance, qui rendent fous, et qui ont effectué la transformation de représentation de la vieillesse en simple fardeau social, de la mort administrable comme un simple acte de soin, de la prolongation sous d'autres formes des visées éliminatrices d'euthanasie généralisée de certains théologues milliardaires et de la lente mais irréversible glissade vers la banalisation et de l'insignifiance de tout ce qui nous fait humains : consommateurs de notre propre mort comme de notre sexualité, empoisonnés avec constance, bridés, manipulés, rendus abrutis et passifs et politiquement représentés par des fantômes jouisseurs. 
Nombre gênant dans une organisation sociale de la destruction et du chaos, où le prix de la vie, victime des inflations terribles des deux guerres mondiales et d'un technoscientisme ignorant ce qu'il poursuit, n'a plus de poids, devenus tous, comme l'histoire l'a montré des "stücke", de la quantité à sortir des prisons, des hôpitaux, des écoles, de tous les lieux de la cohésion sociale pour céder la place à d'autres..EG


Décapités nous sommes.