15 juillet 2016
On peut décider, tant le chaudron
est brûlant, de se taire, se taire à propos des mêmes obstacles, quasiment
structuraux, au fait de parler. Le lieu de ces passages à l’acte répétitifs et
entendus comme une guerre ouverte déclarée, avec sa genèse, son histoire, ses
alliés, ses financeurs, ses méthodes, ses vendeurs d’armes et ses modes de
recrutement, ses chefs de guerre et ses victimes est aussi le lieu des
passions, comment ne pas en effet s’enflammer face à un tel niveau d’horreur et
surtout à l’apparente gratuité aveugle de ces hécatombes qui ne différencient
personne et restent, quoi qu’on en pense, assez opaques quant à leurs véritables
buts.
Mais devant cette impasse, la même
qui s’élève dès qu’on défend l’idée que cette guerre est bel et bien une guerre
de religion et que même si l’amalgame est de mauvais goût, il s’agit d’une
guerre générée par la présence d’une loi religieuse, dont tous se réclament,
élue comme postulat irrévocable et indiscutable mais pouvant être manipulée,
interprétée, modifiée au gré de ceux qui parlent EN SON NOM. N’importe quelle
religion s’engouffre dans sa propre pratique, dans ses cultes et dans ses
préceptes qui évoluent au cours du temps et en fonction des cadres moraux,
sociaux, culturels qui l’empruntent pour s’exercer et du pouvoir de décision
qu’un système politique lui confère. Dire que les attentats, sous quelque forme
que ce soit, n’ont "rien à voir" avec l’Islam, c’est sur un plan
d’analyse historique, comme de dire que l’Inquisition n’avait rien à voir avec
le Catholicisme. On peut en effet avancer que l’Inquisition n’est pas conforme
aux Évangiles ou aux textes sacrés chrétiens qui sont les seules références, il
n’est aux yeux de l’histoire aucun texte sacré qui vaille mais des faits et des
traces de ces faits. Et ces faits, ils sont ce que la religion, ce que toute
religion provoque comme sectarisation constitutive et qui n’existe que contre
les éléments qui sont dans la mécréance. Il n’est pas de foi sans infidèle, et
on peut imaginer qu’une religion qui fédérerait l’humanité ne peut se concevoir
qu’en créant immédiatement un espace de différence et donc de rejet, ou au
mieux d’ "étrangèreté ". On pense à la démarche sacrificielle et à
" l’unanimité violente " évoquées par René Girard. Il va de soi que
notre présence adhésive au présent et au trouble intense que provoque ce
sentiment de danger et d’injustice nous empêchent de nous représenter ce que les
historiens pourront dire sur ces mêmes attentats. Il semble pourtant évident
qu’ils les feront dépendre de l’expansion de l’Islam et de son extrémisation
sensible sur tous les lieux où il s’exerce, pensons aux Chrétiens d’Orient et à
leur progressive extinction malgré une cohabitation millénaire, et les
décriront comme un phénomène faisant partie prenante de son devenir.
Qu’il s’agisse d’une façon de régler
des contentieux autres que religieux peut être une évidence également, que nous
nous devions de les inscrire dans une perspective post-coloniale comme une
façon d’affirmer une identité qui puisse se maintenir hors des fondements
proprement évolutifs de l’Occident et de sa vision totalisante du progrès pour
sacrifier à l’inchangé et à l’immuable sources de sécurité faute d’avoir pu
rejoindre les forces occidentales dans leur course effrénée vers le néant,
pourquoi pas. Mais on ne peut sous prétexte de tolérance et d’humanisme tout
bonnement effacer les dimensions idéologiques qui viennent entrer en collision
avec des histoires de communautés, d’exil, de familles et d’appartenances
complexes. Il est probable qu’un fond de culpabilité mal négociée puisse hanter
les mentalités collectives occidentales et que la façon dont les projets d’
immigration se sont offert simplement la poursuite d’une exploitation féroce de
la même main d’oeuvre qu’elle épuisait depuis plus d’un siècle sur place dans
une vision hégémonique des bienfaits de la pensée capitaliste laisse des traces
d’humiliation qui n’ont jamais été effacées. Il est également probable que
cette même culpabilité et le malaise grandissant à l’égard d’une civilisation
qui créa son identité sur un ethnocentrisme sans alternative jusque dans ces
dernières décennies et travaille à sa propre extinction sous couvert des mêmes
scientismes et technicismes qui définirent et définissent encore sous des modes
à peine changés son hégémonie et son efficacité amènent une sorte
d’idéalisation de la différence quel que soit son aspect, comme une façon de se
positionner hors des courants auxquels on s’oppose d’une façon assez
impuissante.
Mais on ne peut pas séparer la
religion pratiquée de son contexte historique, on ne peut pas séparer les
textes sacrés, qui n’ont de sacré que la fonction d’éclairage intouchable, mais aussi interprétables à merci, qu’on leur donne,
de leurs effets de parole masquée et de caution aux litanies d'un discours
emprunté et assimilé qui prend la place du récit de soi et de conscience de sa
place au sein d’une société qui nourrit elle-même les ambivalences. De même
qu’il est impossible de ne pas envisager les pratiques religieuses sans étudier
leurs rapports prescrits à l’enseignement, à l’égalité des genres, au pouvoir
et à ses modes d’exercice, c’est à dire à mettre la " liberté religieuse
" et le "respect des différences " sous le regard analytique
de l’approche contextuelle et scientifique. Le déploiement de l’Islam peut être
considéré dans une perspective religieuse comme celui d’un bienfait pour
l’humanité, on peut également attacher cette propagation à ses modes violents
et totalitaires de prosélytisme et au fait que plus qu’une assise à des
principes d’économie sociale et privée, il donne l’accès à l’exercice d’un
pouvoir politique qui se légitime par ses origines religieuses postulées. Il va de soi
que l’esprit de Lumières ne peut que laisser ouverte la possibilité de la
croyance, par contre il a l’extrême sagesse de la maintenir confinée dans la
sphère intime et l’intime, il ne semble pas que l’Islam s’en
satisfasse. EG
Références : Fethi Benslama “ La guerre des
subjectivités en Islam” Collection Lignes
René Girard “ La violence et le Sacré" Edition
Pluriel