En sortant de l'école Le Blues des Hussards noirs
Ce qui a bougé lors de ces dernières décennies au sein de la grande maison de l'éducation nationale, ce sont des affichages. De réforme en réforme, de ministre en ministre, l'effort a été centré sur une modification de la terminologie et afin de la crédité du sérieux qu'elle méritait, sur une forme de scientifisation des nouvelles appellations en les acronymant. La froideur sémantique d'un acronyme lui donne par son allure sévère, par la nécessité pour l'allier à un sens d'y être initié, une allure d'expertise a priori et cette allure interrompt toute volonté d'aller soulever la trappe formelle pour aller y voir de plus prêt.
Ce service public croule sous une pluie d'acronymes qui sont sensés donner aux procédures une plus grande efficacité, une plus grande rationalité, autrement dit par leur sacrifice du contenu qu'ils sont supposés exhiber, à ouvrir des champs d'efficacité qui répondent au " comment" de la posture éducative en lui allouant des " textes". Nous assistons ici, comme dans d'autres secteurs à la même dynamique d'éradication du "pourquoi" au profit des moyens, mouvement qui planétaire intrinsèquement lié à l'air du temps et aux substrats du néo-libéralisme qui là encore tait son nom, comme il tait le nom des outils dont il se munit pour " avancer ".On a eu à titre d'exemple à observer ce même glissement dans les domaines religieux outre-Atlantique, où le nom du père et sa mission, de même que les liens qui les liaient aux fidèles se sont vus vider de leur finalité, vie éternelle, paradis, amour de Dieu, pour être remplacés par des postures morales, compassion, humilité etc véhiculés dans la vie de tous les jours par des individus qui en ignorent les racines proprement religieuses. Le néo-libéralisme est une idéologie du comment et c'est aux réponses données à cette question des moyens qu'on juge l'efficacité d'un projet. Dans le domaine scolaire, la cohésion nécessaire autour d'un projet républicain, socialiste, ou autre, autrement dit politique et social ayant disparu, et cette disparition ayant entrainé avec elle celle de la conceptualisation tacite ou manifeste d'un "projet de devenir" des enfants dont elle a la charge, réponse à la question du "pourquoi vient-on se faire chier à l'école ? ", ne s'agglutinent que des circulaires autour du grand vide laissé autour duquel les enseignants dans leur pratique ne peuvent que tourner.
On leur déclare que c'est la façon de présenter les contenus qui doit allécher les pulsions épistémophiliques. Ils font de leur mieux. Mais ces mêmes " contenus" ont été coupés de leur mission symboliques de liens avec la vie d'un monde où ces enfants auront à évoluer. Ce sont des contenus pour "favoriser la réussite", on reste perplexe face au goût pour l'oxymore, en même temps désolé d'y voir une preuve supplémentaire que sur la fonction signifiante de ces contenus, personne n'a rien à en dire puisqu'ils sont liés ou supposés être liés aux désirs de l'enfant, qui chacun le sait est toujours très bien renseigné sur son propre désir. C'est une impasse mais les hématomes générés par les heurts quotidiens contre ce mur ne peuvent être soignés, évités qui sait que par quelque chose où l'école n'a rien à voir. Par un projet politique qui extrait enfin l'individu de ses repères différenciels, de ses replis communautaires et de l'exaltation du consumérisme qu'ils cachent sous des atours militants. Beaucoup demander. On a cru qu'on pouvait "avancer" en brassant de la forme mais l'école et son malaise chronique, plus sensible évidemment dans les quartiers populaires, la perception de ce décalage, toujours traité avec la potion magique d'un nouvel apparat, remplaçant l'ancien devenu désuet aux questions, toujours les mêmes posées sans être énoncées par les clients de cette institution. Quand on met l'enfant au centre d'un système éducatif, il ne faut pas être surpris de voir ce même système s'effondrer puisque comme par une évidence à laquelle tous seraient devenus aveugles, c'est à créer ce centre que devrait s'appliquer ce système, centre qui n'existe pas puisque ce même enfant, il vient justement le chercher, le construire ici.
A suivre EG