Il
y a tout de même quelque chose de terriblement sidérant, au sens d’impensable,
dans ces affaires successives de données récoltées, d'agences perverses, de « trolls »
venus d’un autre monde pour modifier le cours des évènements citoyens, bref de
cette idée latente, omniprésente qu’il suffirait de dire au lambda quoi penser
pour qu’il modifie son point de vue, incline son vote dans la bonne direction.
Pourquoi
pas.
On
sait la force des faiseurs d’opinion et les milliards de dollars investis dans des organismes de "relations publiques" comme Eldman, Hilland Knowlton etc. Agissant toujours dans un complet anonymat sur ce qui touche le domaine le plus visible, "le public", puisque c'est à cette terminologie que nous nous trouvons tous réduits, autrement dit à une passivation jusque dans notre identité elle-même.
Par contre, il est peut-être nécessaire de noter que justement, c'est à coup de milliards que ce même dessin de l'opinion est supposé pouvoir s'incliner et prendre les "bonnes" directions.
Que donc, au fond, ce n'est peut-être pas si simple, les histoires de troupeau.
Que l'on propage l'image de tel ou tel produit, et la logistique métaphorique qui le supporte, et que le consommateur se laisse convaincre, certes, c'est envisageable, après tout, il s'agit là des miracles de la publicité et des campagnes de promotion de rendre un objet totalement inconnu, inutile soudain indispensable et désiré. Nous ne sommes pas dans le registre d'une opinion à part entière. Mais d'un shéma d'essai et erreur. Qui peut déboucher sur une histoire d'amour ou sur un rejet définitif. Mais après l'essai lui-même.
On peut dire que les liens aux hommes et femmes politiques sont un peu du même ordre sauf que ce qui peut apparaître dans la tonne quotidienne de commentaires, parutions, posts divers c'est que dans le contexte d'élections, les avis sont faits avant, pas après l'élection et que connotés de passion comme ils le sont dans la grande majorité, il y a fort peu de chance que des essais d'influencer puisse faire changer les orientations, tout aussi irrationnelles la plupart du temps que des croyances religieuses.
On ne change pas de dieu quand on y croit.
Et d'autre part, la plupart du temps, malgré les tentatives de déconditionnement soi-disant orchestrées par des forces obscures sous la forme de commentaires critiques, la façon dont s'agence les pages, par exemple sur la bête noire qu'est devenu Face Book, prête plutôt au rassemblement d'individus de même tendance qu'à la tenue de débats sophistiqués et argumentés sur les bienfaits de tel ou tel parti.
On reste entre soi, on est dans sa chapelle et on se passe de la solidarité à coup de click.
Evidemment de l'autre côté, on peut toujours penser devoir pouvoir influencer certes mais à chaque meeting, quelles que soient les sommes astronomiques dédiées à la promotion du futur président, ceux qui viennent l'écouter sont des convaincus et quelques critiques.
Il est donc assez peu probable que des individus, même clairement ciblés puisse ainsi changer leur fusil d'épaule parce qu'on leur dit que la gauche est la meilleure.
Ils savent. ils savent ce qu'ils veulent même si ils ignorent absolument pourquoi, leur choix est aussi viscéral que déterminé.
Le niveau de passion lié à ce mode politique d'élection ne laisse que peu de place aux analyses, et comme ce qui est considéré est non pas la rationalité du programme, ni l'histoire politique du candidat, ni sa crédibilité mais son charisme et sa capacité à déclencher des spasmes d'idolâtrie, on est là plutôt dans le registre du fan club que du débat politique et le fan club est indéboulonnable, même par des agences avisées des failles de la conscience humaine.
La passion est là, et elle n'est pas dans le registre de ce qui se maîtrise de l'extérieur simplement par quelques renseignements collectés sur vos choix cybernétiques.
Par contre, ce que cette idée que la zone influençable soit partout et accessible par de simples manipulations de l'opinion quand il s'agit d'une personne révèle c'est le niveau de mépris absolu de ces organismes pour le lambda.
L'idée que tout peut lui être dit, arraché, inculqué et qu'il est une matière malléable et stupide, incapable de faire ses propres choix et de s'y tenir.
Le problème, au contraire est plutôt dans l'incapacité non pas de constuire l'opinion mais de pouvoir la modifier puisqu'elle touche à des zones, encore une fois, de croyance et non de conscience.
Cette illusion, jamais questionnée d'ailleurs dans son efficacité car nourrissant à la fois les mythes, les comptes en banque et les certitudes des politiciens et de leurs sbires, acquise également par cette même opinion publique comme le fruit des campagnes pour influencer leur "influençabilité", est une autre version de l'idéologie où celui qui paye est en même temps pris pour un con parce qu'il paye.
EG