4.23.2018

Déparentaliser / En sortant de l'école


Les dernières recherches : Les dernières recherches : Mot-clef, image d'Epinal, magie incantatoire. On a eu quelques minutes, lisant le titre, l'illusion que, enfin, on allait revenir au bon sens, à la raison, c'est à dire à la simple préconisation de l'instauration de cadres où chacun et chacune aurait retrouvé sa place. Pas de "centre" autrement dit. Lieu mythique où l'on se doit de mettre l'hypothétique " enfant", comme il nous l'a été recommandé depuis quelques décennies, sans que l'on puisse vraiment mesurer les bienfaits attendus de ce déplacement dans l'espace symbolique. Mais c'est une fois de plus, dans cet écrasement au rouleau compresseur des "découvertes" quasi pluriquotidiennes sensées révolutionner notre entendement, nos relations, nos corps et nos moeurs, à une déformation de ce cadre tant attendu que nous avons affaire, une déformation de ce rapport où être un enfant n'est pas un état "en soi" mais une étape et où, dans ce contexte de rapport aux adultes qui l'entourent, l'entourage, les bords, celui de l'enfance, c'est à la force d'identifications, contradictoires, générant des ambivalences structurelles mais protégé contre elles par les limites données par une représentation d'un monde adulte solide, à tenter de comprendre pour se savoir soi-même et différent, que cet enfant construira ce qu'il va devenir, tout au long de sa vie. 
Mais il n'y a pas de parentalité possible quand tout ordre, au sens d'une mise en place du désordre, est questionné sous l'angle du pathos individuel, quand tout signe qu'il y a les enfants ET les parents, que ce sont deux univers qui s'interpénètrent mais ne se recouvrent pas et que c'est à délimiter cet espace possible entre leurs différents besoins, désirs que le monde de l'enfant peut s'épandre, en silence, sans la constante nécessité de se créer sous les yeux de l'adulte et sans devoir sans cesse se justifier de ce qu'il est, même et surtout par amour et pour son bien. Un lieu psychique séparé, qui donne aux fantasmes la possibilité de croître, de se former et qui ne met pas la "communication" au service malsain de ces fantasmes infantiles qui ne sont pas encore délimités comme si l'interlocution se plaçait au même niveau pour les deux partenaires. 
Il ne faut pas qu'un enfant soit entendu autrement que comme un enfant pour qu'il ou elle puisse constuire sa pensée comme un élément lui appartenant en propre, inaccessible et protégé par la posture parentale, ou mieux, comme Laplanche l'évoque, "adulte."
Ce sont à deux mondes qu'il faut appartenir et non à une sorte de sas où cet état adulte serait celui de la culpabilisation constante, dans une fuite en miroir quant à ce qu'il s'agit de dire, de faire, quand, comment, pourquoi.
Nos enfants sont malades, cet article évoque même une sorte de "dépression" congénitale évidemment attribuée à quelque dysfonctionnement neurologique et qui toucherait un nombre effrayant de cas aux USA (plus d'un millions d'enfants de moins de six ans sous neuroleptiques) mais ce que surtout il continue obstinément de faire, c'est de pointer, à l'aide d'une investigation scannérisée comme toujours, puisque c'est devenu notre seule référence possible quant à la compréhension de l'humain, c'est la responsabilité des parents dans l'aggravation de cette " dépression " et dans ses conséquences à venir. Ici à nouveau, on réduit à sa plus simple cellule le message pourtant hautement politique et socio-culturel qui nous est donné par ce nombre impensable d'enfants et d'adolescents qui vont, évidemment, mal, qui allant mal sont immédiatement conduits dans le couloir mortifère du diagnostic, médicalisés.
Condamnés au passage du social au biologique, tout en laissant grande ouverte la question fondamentale et fondamentalement politique de la place dans les générations, de la prise en compte de l'histoire, de la pression omniprésente de la normalisation et de l'évaluation, du rôle fédérateur de la société attendu par les adultes afin qu'ils se sentent soutenus par le temps, ou comme le note JC Milner de ce qui a remplacé le "temps" avec sa dimension transgénérationnelle pour céder place à l'"époque", qui les porte et de la façon dont l'enveloppe sociale en se décomposant dans le " laisser faire" libéral et ses séquelles, s'est complètement désolidarisée de toute vue éducative, dans la culpabilisation omniprésente de tout acte tendant à cadrer ce qui ne peut, dans cette impasse de l'individualisme heureux, que s'adonner aux épanchements sans borne pour plus-de jouir.
Une fois encore et comme projet à venir de complétude collective mais gardée précieusement dans l'antre des familles consuméristes, la perspective d'une éducation qui pourrait s'effectuer grâce au savoir scientifique dans l'harmonie, le plaisir permanent, l'absence de frustration et qui, pour autant qu'on cotoie ses fruits tous les jours, ne donne pourtant pas l'image d'une réussite absolue quand il s'agit de ce qui permet cette élévation, cet advenir, ce devenir que représente la conduite d'une vie et qui s'étaye sur du savoir-vivre, qui lui aussi, s'apprend.
Du savoir, et qui renie l'avoir. Du vivre et qui renie en savoir quelque chose ?
Ceux et celles qui sont là pour poser des remparts, donner des limites à l'expansion de soi qui tuerait n'importe quel psychisme, envelopper, se poser mais se poser comme un individu responsable de ses actes et de ses propos, pas comme un individu écrasé par l'absence de ce même cadre que pourrait lui donner, devrait lui donner la culture dans laquelle il ou elle existe.
Une société qui dénie devoir dire non tout en agissant ce même non dans des passages à l'acte violent continuels faute de pouvoir mettre sur le marché le non structurant de l'accès au symbolique, de la désymbitosation, le non du langage et de l'Autre, a fortiori sous le couvert de ce même scientisme compulsif, mettant tout un chacun dans des scanners pour repérer de petites zones de couleur sur des cerveaux malades de se savoir amputés de leur psychisme, réifiés comme cause et effet, une société qui dénie à ses membres le fait de savoir a priori, parce qu'ils sont et deviennent parents, ce qu'il en est d'éduquer son enfant, qui leur dénie la capacité de pouvoir l'ELEVER, en en prenant donc la responsabilité entière, tout en prônant simultanément un accès à l'épanouissement personnel qui prétend le contraire, au nom d'une forme pas même consciente de lâcheté collective, de misère représentative et d'infantilisation passive.
Une société, à l'esprit lentement immolé par la neuro-psychiatrie, médicalisée jusqu'au dents, normalisée dans le bonheur obligatoire, arrivée aux confins sans issue de l'individualisme où chacun a droit, se donne du droit, mais où la survie même de cette enfance qui se décrit sur tous les continents occidentalisés comme malade, intellectuellement, physiquement, émotionnellement, n'est pas même une alarme absolue pour poser les questions du monde qui l'attend mais un défaut de connexion neuronale ou un défaut d'entendement éducatif des parents.
Un société, face à son enfance qui est quotidiennement mise en danger par ces mêmes dynamiques techno-scientistes qui sont dans la toute-puissance du supposé savoir, auto-attribué, sans instance externe qui contrôle leurs choix et leurs orientations à part celle des laboratoires qui les financent dans l'unique nécessité de rentabiliser leurs recherches, une société qui est folle. La folie de ce monde est aussi et d'abord peut-être ce que Marcel Gauchet nomme "l'évanescence de l'interrogation collective", où chaque " objet " participant de la marche consumériste est à la fois sollicité et anéanti en tant que sujet, un objet sans objet, sans cesse arraché à ses bases par des savoirs renouvellés sur tout ce qui le concerne au plus intime, sexe, nourriture, éducation, là où aussi ne se placent plus de bords dans les comptes incessants qu'il se doit, en tant qu'objet permanent d'étude, de rendre. Une société folle dans son incapacité de plus en plus flagrante à savoir ce qu'elle veut de l'humain, de " son" humain", pour l'aider à déterminer où il va et à poser les bases solides des chemins pour y aller et y conduire les siens. EG

Ce qui ne nous tue pas ... N°2