10.14.2018

Un nouvel ordre moral. La langue du Démagogue

Les détenus des centres pénitentiaires vont être nommés des "personnes hébergées." 
Le mouvement initié d'une façon radicale il y a une vingtaine d'années s'est doté en premier lieu, comme tout système totalitaire, d'un langage. La condescendance, le sentimentalisme qui fondent le pouvoir de la démagogie sont plus que jamais, d'une façon systématique, entrain de redessiner les rapports intra-sociaux et les constructions des mentalités et de leurs représentations. 
L'usage exorbitant d'acronymes dans les institutions qui neutralisent la force coercitive des termes qu'ils remplacent et la capacité du langage à générer lui-même ses contradictions, les impositions d'une terminologie du bienfait à l'égard des marginalités diverses, le glissement dans tous les champs d'américanismes qui viennent évincer les usages et la créativité linguistiques français et internationaux au bénéfice d'un imaginaire anglo-saxon qui n'a pas ses racines dans le travail constant de la langue pour ajuster l'espace entre le Réel et le tissu symbolique social et individuel, sont autant d'armes du long terme qui arrachent les échos du vécu de leur origine expériencielle et les coupent ainsi de toute possibilité de créer leur propre champ critique. Au nom de l'effacement dans la langue des stigmates supposés de la différence ou de la marginalité, le nivellement sémantique leur nie toute réalité, comme si à lui seul il était amené à créer la possibilité de tous les effacer.
Le champ le plus caricatural d'exercice de ces glissements qui ont curieusement une forme d'accueil complaisant dans les discours de la masse est celui de la nosographie cognitiviste et de ce qu'elle a avec méthode éliminé ou tenter d'éliminer des savoirs antérieurs sur la psyché humaine pour le remplacer par une idéologie du trouble et du réductionisme naturaliste entendu comme rationnel.
Il n'est de langage que "MORAL", c'est à dire véhiculant les valeurs propres au temps sociohistorique dans lequel il cadre la réalité.
Être "hébergé" pour un détenu, fait suite à la longue éradication de la violence de l'enfermement au profit de l'imaginaire d'une sorte de lieu du loisir omniprésent même dans la répression. Dans le même temps, ce glissement, ayant ôté la dimension carcérale de son champ de représentation, supprime simultanément la nécessité d'une réflexion sur le bien fondé des décisions d'emprisonnement comme seule réponse aux exactions sociales. On n'a pas à lutter contre un hébergement, la dimension des murs et de la peine étant évacuée du terme lui-même et donc, qu'on le veuille ou non, que l'on en ait conscience ou non, des esprits. Tout comme l'est la mutation de la force répressive et de l'appareil de justice étatiques en " Hôte ".
"Prison" n'existe plus, et donc prisonnier non plus même si la réalité reste absolument identique à elle-même et si dans leur histoire les sociétés pseudo-démocratiques qui la modèlent n'ont jamais été aussi répressives et punitives. Forme de relaxation ou de yoga du discours critique, mis à disposition de la paix intérieure des peuples, toujours utilisée comme "en place de", prenant la place dans les consciences du champ de la polémique en lui ôtant sa texture signifiante même, la démagogie ruisselle au nom du bon et du vrai et de la protection qu'elle se doit d'exercer sur nos aigreurs ou nos sentiments d'injustice. EG

Ce qui ne nous tue pas ... N°2