Ce que peut révéler, à la suite de plusieurs phénomènes de pratique de "justice sociale," et à titre d'exemple parmi tant d'autres, cette obligation pour Le Pr. Cornell de bloquer son compte twitter à cause des tempêtes d'outrage qu'il avait déclenchées, c'est la lente montée en force d'une justice collective, d'une justice de masse qui s'arrogerait le droit de passer outre les procédures mises en place par l'appareil judiciaire dit démocratique afin de permettre d'échapper au simple "donnant donnant" de la justice expéditive et du lynchage qui l'accompagne.
On pourra repérer cette façon de "réagir" massive comme une des conséquences des paramètres relationnels, mimétiques spécifiques au fonctionnement des médias sociaux et lier cette capacité de la "foule" à sauter en vrac sur le premier venu qui pourrait exhiber une forme quelconque de déviance, dans de nombreux phénomènes de foule, des Meetoo au bannissement du film de Polanski, en passant par les raids des antispécistes, il s'agit toujours de "passage à l'acte" qui occulte la nécessité, dans tout procès de faire intervenir une défense et une accusation, c'est à dire de mettre en place la distance nécessaire à l'examen des motivations, des faits et de l'argumentaire AVANT d'émettre un verdict.
Il est question, et on ne peut que le constater avec une sorte d'horreur, d'un lent glissement vers un système de délation endémique, ou du moins de la mise en place d'un "esprit délateur" faisant loi, qui s'appuie pour tous ceux et celles qui s'en rassasient non sur une recherche d'une quelconque vérité, mais sur la libre manifestation d'une hyper-affectivité, d' "incontinance émotionnelle" pour reprendre l'image de David Foster Wallace, une forme de passion pour l'outrage investie dans une justice idéale, purement subjective, "parlant du coeur".
La fonction du juge est de parler "au nom" d'une recherche de la vérité, c'est à dire de s'extraire de cette passion mimétique qui permet de s'identifier corps et âme à la victime a priori, c'est à dire sans avoir pris la peine ni le temps d'examiner le complexe entremêlement des faits, ceux qui semblent visibles et surtout les autres, ceux qui sont agissant en sourdine mais génèrent par leur force cachée même ce qui semble devoir être une "réalité".
Il s'agit d'un mouvement de fond véhiculé par les médias, nourri par les médias sociaux et qui passe outre la nécessité de la PREUVE pour s'engouffrer dans ce que l'impact du mouvement de foule a de plus extrême sur l'humain, la capacité à le libérer de sa culpabilité et la légitimation de toute posture fût-elle celle du massacre, portée par les épaules de l'anonymat groupal qui passe outre également les diverses couches des institutions supposées garentes de l'ordre, bien sûr changeantes dans leur zèle et dans leur indépendance en fonction du contexte politique et des enjeux de pouvoir.
Il en va, dans cette propension au lynchage légitimé, d'une remise en cause de ce que ce qui se qualifie de "Démocratie" a de plus essentiel et de plus fragile, la mise en avant du DROIT de tous à être défendu AVANT d'être exécutéet sur des critères tendant vers le mirage de l''OBJECTIVITE et la, évidemment toujours relative, confiance du peuple en les représentants de cette justice.
Assez insidieusement, ce reniement de la nécessité de différer le jugement et de devoir argumenter les condamnations va de pair avec la progressive "police de la pensée" s'exerçant à travers les médias sociaux dans leur tentative de régulation "morale" des propos et des parutions dites "haineuses", accréditant simplement ce qui est noté plus haut : que la subjectivité-reine a progressivement pris la place du raisonnement et de la nécessité dialectique qui devrait l'étayer.
A titre personnel, chacun et chacune est ainsi promu, sous couvert de l'îlotisme individualisant, comme son propre porte-parole, pensant dans l'état de naîveté propre à l'intoxication médiatique, en donnant ainsi non un simple avis, ou une opinion mais en légitimant leur acuité par un seul jugement moral, parler en son nom, où auréolé de la toute-puissance et du devenir de soi devenu religion, il lui suffit donc de DIRE pour que, enraciné dans son Ego, ce DIRE soit sans transition mué en LA vérité puisque directement issu de ce qui croit être par lui PENSE.
On peut éclairer cette posture avec le progressif rétrécissement du TEMPS, nécessaire à toute élaboration, et la recherche de l'immédiateté de la satisfaction et de la vitesse qui font office, elles aussi, de forme de VERITE qu'on peut aussi déceler comme omniprésente dans la "culture de l'émoticône" avec sa capacité immédiate à montrer, sans la possibilité d'aucune nuance ou ambivalence, un état supposé émotionnel qui se substitue d'un commun accord à un avis formulable dans l'ordre d'une pensée et donc argumentable.
Avec aussi, l'absorption d'un égalitarisme pathogène qui amène chacun, par une imprégnation quotidienne à se considérer, à devoir se considérer comme uniquement LIBRE, et libéré de toute contingence liée à la démarche, à l'accumulation de documentation, au débat, c'est à dire à la possibilité de devoir prouver ses propos, dans un univers imaginaire où tout se VAUT, et où toutes les valeurs attachées à ces démarches nécessaires pour prétendre user d'un savoir et leur ancrage moral on fait place à une seule valeur, détachée de son contexte psychosocial et recadrée comme seule valeur tangible, valeur de la "chose" réelle, de l'objet.