On a cru pouvoir braver notre solitude en la provoquant, en lui demandant des comptes dans les viscères de ceux qu'il nous fallait anéantir. Leurs cris sont venus, à chaque fois, emplir le vide inaccessible de la voûte céleste, juste au-dessus de nos massacres, et les vapeurs qui émanaient des sols couverts de sang nous enveloppaient suffisamment pour que le grand froid des voies lactées se laisse, quelques heures, oublier.
Dans l'absolue neutralité des nuits et de leurs étoiles, brillant, reconduites de soir en soir sans jamais en démordre, il nous a fallu mettre quelques poussées, quelques énervements, tout ça afin de simplement nous croire vivants en face de la mort stellaire et de son silence.
Hurler, déchirer, cribler de divers objets acérés comme nos dents, les peaux alentour et parfois les nôtres nous a suffi, nous suffit encore parfois, pour mettre de côté cette insatiable effroi d'être seuls dans cet infini indifférent à nos cultes et à nos occupations triviales.
Comme une suite évidente à nos destructions légitimes, une forme de couronnement de nos prédations, à la fois vain et pourtant seul important, nous avions lors de ces célébrations du bruit annihilateur, l'opportunité d'étendre à ces corps soumis l'extrême diversité de nos innovations, les tuer, simplement, ne suffisait pas, il nous fallait, en détaillant les multiples possibilités d'atteindre leur mort, que nous marquions une qualité inventive toujours renouvelée. La véritable force était là, dans cet étonnement que les vaincus et nous-mêmes provoquions en raffinant toujours plus les capacités de ravager les corps. Avoir quelque chose à protéger, quelqu'un à assurer de notre présence contre les représailles, avoir quelques vengeances à fomenter pour nettoyer les affronts et les velléités d'expansion suffisait à occuper tous nos temps morts.
Une fois le sacrifice accompli et quels que soient les ravages et les malveillances qui l'avaient accompagné, toutes effectuées sous la main sans scrupule de cette jouissance aveugle qui nous taraude comme un manque permanent à notre repos, nous revenions aux sources de notre équilibre, à cette appartenance qui nous permettait de parfois braver l'insondable arbitraire des cieux.
Nous en étions, assis là en cercles, chacun éclairé par la flamme commune et par la certitude d'être envisagé par le lieu même et par ses habitants. Partie prenante de quelque moment où nous pouvions nous faire valoir, tracer sur l'oubli du temps un trait à notre mesure et puis aller dormir.
De cette crainte permanente pour notre survie, des questions obsédantes sur notre essence, sur cette étrange spécificité qui nous amenait à pouvoir nous reconnaître par les sons que proféraient nos gorges autant que par notre odeur, par ce constat si rapidement effectué que ces mêmes sons pouvaient mentir, trahir, enjoliver les actes mièvres et rendre certains parmi nous plus appréciés ou redoutés que d'autres, il nous fallait nous départir parfois.
Nous sentions que quelque chose était particulier en notre rectitude et en nos mains au regard de tout ce qui nous entourait. Quelque chose qui nous rendait à la fois vicieux et calculateurs, stratèges et orgueilleux mais que nous peinions à attribuer à autre chose qu'aux puissances invisibles qui nous entouraient, ici, à la surface et dans les soubassements des montagnes où nous nous frayions des passages dans le noir presque total des torches mais aussi dans la vitrine luxueuse des nuits, cette distance à nous impraticable qui devait bien être peuplée elle aussi d'êtres en errance comme nous.
Il se fallait que ce tout, qui nous protégeait uniquement grâce à notre habilité à en extraire notre subsistance et qui représentait une menace et une fascination qui nous tenaient tendus, aux aguets en permanence, il se fallait qu'il ait quelque chose à prouver, quelques vérités à nous dire, que la mort qui nous emportait s'y tapisse un lit qui nous devienne enfin familier.
Il se fallait que ce tout, qui nous protégeait uniquement grâce à notre habilité à en extraire notre subsistance et qui représentait une menace et une fascination qui nous tenaient tendus, aux aguets en permanence, il se fallait qu'il ait quelque chose à prouver, quelques vérités à nous dire, que la mort qui nous emportait s'y tapisse un lit qui nous devienne enfin familier.
Il se fallait que cette eau qui coulait vers des lieux impensables mais qui aussi étanchait nos soifs, que ces troncs massifs et leurs craquements, que cette infinie diversité des courbes des feuilles, leurs pouvoirs à guérir nos maux ou que les usures imperceptibles des rocs nous répondent, qu'ils nous donnent quelques signes de leur appartenance au même règne que le nôtre, qu'ils nous englobent dans le mystère de leur puissance et de leur immuabilité.
Nous oscillions entre la terreur et la destruction, entre les exaltations que l'une et l'autre provoquaient parfois, que nous recherchions comme une réponse à la mutité des choses.
Lorsque nous pissions dans cette eau, hachions ce tronc en y appliquant toutes nos forces, dépecions ces félins qui nous devançaient à la course sur tous les terrains, s’extrayaient de nous une joie maligne, une sorte de ricanement qui venaient s'ajouter au seul besoin vital assouvi.
Une vague qui montait, traçait en nous une sorte de ligne enflammée, partant de nos ventres, bien plus surprenante, bien plus alléchante que toutes les satisfactions de nos appétits élémentaires.