Il y a eu depuis longtemps, un constat presque douloureux et la nécessité de lier ce constat à certaines des difficultés des jeunes enf nts à entrer comme on dit, dans l'écrit.
Celui-ci nécessite, quand il s'offre à nous sans encore les outils mentaux pour le faire nôtre, une capacité à s'abstraire du poins du réel pour ne pas craindre d'avancer en terre inconnue, au risque de se laisser happer peut-être, ou d'y découvrir des terres inconnues peuplées par des figures imaginaires. Le jeu, celui du play anglo-saxons, réduit avec une telle constance dans le seul "game" des règles et des performances et leur totale dépendance à des " compétences", rapidité, adaptabilité qui ne mobilisent pas du tout la capacité à "sortir" de soi et à s'autoriser en toute impunité de pouvoir se projeter ailleurs et autre, mettant ainsi en scène à la fois ses propres peurs, ses conflits et aussi ses rêves plus ou moins secret, instaurant à l'égard de l'objet ou du partenaire des relations à construire pour un temps qui permettent d'enrichir les relations de la vie quotidienne et ouvrant l'espace des nécessités, des contingences et des obligations imposées par le monde adulte à un peu de la créativité enfantine sans que ce dernier ait à rendre des comptes.
Tout ceci profondément thérapeutique, c'est à dire à même de régler, de rééquilibrer à travers la fiction et les scénarios divers inventé lors du jeu, des situations enkystées et impossible à métaphoriser par la langage.
On a dans le cadre d'un" prise en charge" ( expression jamais remise en cause et pesant du poids de la banalisation sur toute possible ouverture à la question.) eu affaire à plusieurs petites filles de CP qui n'étaient, en cours avancé de l'année pas encore à même de déchiffrer les lectures données en classe.
Il nous est venu l'idée de les "lâcher" si l'on peut dire, et d'utiliser le temps imparti afin qu'elles organisent elles-mêmes une mise en scène libre d'un jeu entre elles. Bien sûr dans un tel contexte, et sachant que la présence d'un adulte est exclue pour permettre au jeu de suivre sa propre orientation et de s'enrichir sans pression, il a fallu adapter le cadre et j'ai dû me retirer dans un coin de la pièce afin de me faire le plus possible oublier.
Le jeu a commencé, avec quelques accessoires mis à leur disposition. Les archétypes sont très vite arrivés : la maman, le papa, la voiture, le bébé. L'essentiel était évidemment de laisser ce qui guide et lie ces figures se créer un script qui porte du désir, de l'envie, de la dynamique.
Où va cette famille ? Que fait-elle ? Que se disent ses membres ? Quels sont les liens qui peuvent s'imaginer entre ses composants ? etc.
Le scénario a été très vite entériné et sans aucune fuite possible ailleurs que dans ce qui est lié aux pratiques consuméristes comme modèle d'aboutissement, de plaisir et de complétude : la famille a pris la voiture, le papa conduisant et elle est allée manger à Mac Do.
La question de ce qui pouvait dans cette liberté relative être envisageable d'autre et autrement ou être concevable n'a simplement pas pu se poser, n'a pas pu être envisagée.
On postule que cette forme de carence de la construction imaginaire et de ses possibles est un des éléments à envisager, c'est à dire à considérer non sur la plan d'une rééducation, qui serait absolument aux antipodes des fonctions inconscientes et structurante du jeu mais comme bases indispensable à tout accès au champ symbolique que représente l'écrit et aux mondes, nécessairement inquiétants qu'il ouvre.
Le fait de permettre ces entrées possibles dans son propre imaginaire, de le nourrir avec des éléments non stéréotypés et donc essentiellement propres à chaque enfant, vitalisant ainsi son rapport au langage comme possession accessible et territoire à explorer semble une entrée possible, à envisager dans une perspective de liberté ponctuelle accordée dans ce cadre si contraint qu'est la journée scolaire ce qu'on y demande.
La forme, pour reprendre une autre expression insupportable, de " lâcher prise" qui est attendue concerne autant l'enfant que le praticien qui lui offre de ce temps scolaire sans le baliser par ses propres demandes et ses attentes.
Le peu de loisir d'exercer cette liberté qui à un très jeune âge est quasiment la seule, ne peut s'effectuer aux domiciles mais n'en demeure pas moins indispensable pour atteindre ce que l'école attend et ses carences sont directement à associer à des impossibilités structurelles de "rentrer" dans les apprentissages qui nécessitent une mise en place de projections de soi- même comme inconnu à soi actives lors du jeu libre, non attendues par le désir de l'autre et profondément sécurisantes.