10.02.2022

Petit conte amiénois Sixième partie


2/10/2022

Bien sûr la sollicitude sans limite de sa tutrice avait eu son prix.
Un simple échange donnant donnant que le petit Emmanuel avait accepté sans même y penser.
Il avait été convenu entre eux qu'il ne devait accepter dans son gouvernement que des laiderons sans aucune qualité intellectuelle discernable.
Sa tutrice avait la rivalité facile sous ses dehors sereins.
Pour le convaincre d’obtempérer, elle avait développé des arguments plutôt pertinents sur l'effet miroir des femmes de pouvoir sur les meutes et sur le dangereux arrivisme de certaines femelles qu'on devait absolument juguler avant qu'il ne déborde, risquant, ce qu'il ne supporterait pas, de lui faire de l'ombre.
Elle évoqua leurs compétences dans l'art du tripatouillage favorisé par des siècles de pratique de la manipulation secrète et des tirages de ficelles effectués derrière les
rideaux et sur les oreillers.
Elle savait ce dont elle parlait.
Pourtant, contrairement à ce que sa tutrice pouvait craindre, le petit Emmanuel ne regardait pas les femmes.
Il n'avait besoin que d'un sein chaud où se blottir lorsque l'exercice du pouvoir ne le protégeait plus contre les coups-bas et les mauvais sondages et de quelqu'un à ses côtés qui lui rappelle ses rendez-vous, le guide dans le choix de ses vêtements et le conseille sur certaines affaires délicates.
A tout cela, sa tutrice s'entendait à merveille.
Afin de respecter le seul engagement qu'il se fit jamais un devoir d'honorer, dès son arrivée à la présidence, le petit Emmanuel chargea donc quelques-uns de ses collaborateurs d'aller lui chercher quelques spécimens qui permettraient d'être à jour avec les quotas sans avoir de réelle influence sur la formulation et l'application de toutes ses directives.
Sortirent alors de nulle part des hordes d'insignifiantes se ressemblant plus ou moins, toutes regardant le monde avec des pupilles vides derrière leurs lunettes, qui furent promues ici et là dans quelques-uns des ministères et des bureaux où elles furent enivrées par les sensations que procure l'exercice de tout pouvoir puis prises d'extase en étant informées de toutes les faveurs que leur nouveau statut leur octroyait.
Ce n'était pas aussi jubilatoire lorsqu'il s'agissait de développer leurs choix politiques sur les plateaux et de rendre des comptes en matière d'économie d'énergie, de projet de société équitable et vaguement collectiviste, de mesures de sécurité sanitaire, éducative, financière etc.
Les questions de certains estafiers, pourtant consciencieusement révisées en coulisse, les laissaient pantoises par leurs exigences de précisions dans la maîtrise des dossiers et nécessitaient de leur part un art consommé du paralogisme qu'elles ne maîtrisaient pas non plus.
Nul séminaire, nulle formation n'avaient été organisés pour les préparer à ces épreuves et leurs compétences s'arrêtaient à la rapidité de la frappe sur leur clavier et à une relative ponctualité. Elles disparaitraient de toute façon des écrans et des mémoires comme elles y étaient venues et surtout, on pouvait compter sur les insuffisances encore plus grandes et la faculté d'amnésie sans fond de l'animal domestique pour ne pas devoir se formaliser des limites cognitives du monde politique, pourtant si ostensibles, et glisser sur la platitude des écrans sans broncher à d'autres scandales beaucoup plus excitants.
Ces pauvres créatures n'étaient d'ailleurs, ceci aurait dû les rassurer, pas moins efficaces dans l'aberration que bien d'autres membres du gouvernement, sans doute possible, ils l'avaient prouvé, masculins, en place simplement depuis plus longtemps et qui avaient donc, eux, eu plus de temps pour complètement parler pour ne rien dire sans que rien n'y paraisse.
Cependant, malgré la quantité étonnement importante d'interventions frôlant l'absurde, malgré les bévues, les démentis et le spectacle assez pitoyable de leur incurie dans des domaines si explosifs qu'ils pouvaient, à être traités à la légère, générer des catastrophes aux conséquences irréversibles, on fut étonné dans les sphères du peu de réaction de l'auditoire, allant jusqu'à soupçonner un complet abandon de l’intérêt porté à sa propre survie.
"Mais est-il devenu trop con pour s'apercevoir à quel point nous le sommes nous-mêmes ?" entendait-on régulièrement dans les couloirs des divers palais.
"Oui, sûrement."
Cette apathie de l'animal domestique face à l'impéritie venait du simple fait qu'au cours des dernières décennies, il avait été lui-même pris dans la dégradation progressive de tout discours politique un peu complexe, un peu visionnaire, privé dans le même temps de tout argumentaire un peu chiadé et qu'au-delà de dix mots à assimiler ou à produire, il plongeait dans un état de stupeur.
Il n'avait jamais rien connu d'autre et tout cela comme le reste de toute façon, dans l'état de profonde dépression qui l'habitait nuit et jour et qu'on lui intimait de positiver, n'avait plus d'importance.

 

 




Nous ne nous parlerons plus jamais.