Petit conte amiénois
Cinquiéme partie
Il y eut quelques rumeurs déplaisantes mais nulle poursuite, les Organisations Défendant les Droits ayant tant d'autres chats à fouetter que le détail de cette énucléation ne leur sembla pas digne d'en faire tout un fromage à l'international.
Au fond de son box, la cicatrisation de l'animal domestique s'effectua tant bien que mal et maintenant borgne, il rentra presque totalement dans l'ordre nouveau envisagé sur le long terme et qui impliquait de sa part non seulement qu'il consente à s'appliquer au changement tant attendu de toute sa personne mais surtout qu'il apprenne à la fermer complètement.
Le petit Emmanuel, de banquet en réception, de galas en sommets, de toute façon avait fini par presque l'oublier.
Lorsqu'il voyageait par le monde, il n'emportait que ses discours, l'élégance de sa rhétorique suffisait à intimider ses auditoires et lui ôtait le tourment de devoir représenter qui que ce soit.
Il trouvait tellement plus confortable de présider sans avoir personne à gouverner.
Il participa à quelques diners sous le fuseau GMT -4, où il eut l'occasion de serrer dans ses bras en marque d'affection un de ses plus proches camarades lui aussi fort bien coté par les oncles du Palatinat et qui, le petit Emmanuel ne se le cachait pas, était auprès d'eux un de ses rivaux les plus craints.
Lorsque tous les chefs de file avaient eu à obéir au plus vite et au mieux aux injonctions globales contaminantes, le petit Emmanuel s'était documenté heure par heure sur la façon de son rival de ne pas solutionner les crises, il avait écouté toutes ses harangues et noté sur un petit carnet la qualité de ses contradictions et l'ampleur de sa mauvaise foi, décidé à faire beaucoup mieux. Il avait eu un moment d'admiration sincère lorsqu'on lui avait dit qu'il avait été décidé de bloquer les finances des récalcitrants, stratégie tout à fait remarquable pour calmer les ardeurs des opposants et que le petit Emmanuel s'engagea à garder sous le coude au cas où.
Mais tout n'était pas si rose, lors de leurs rencontres, leur différence de taille mettait le petit Emmanuel très mal à l'aise et il avait même, pour la photo , envisagé d'utiliser des talonnettes afin de gagner quelques centimètres, idée qu'il abandonna lorsqu'on l'informa que ce subterfuge avait déjà été utilisé par un de ses prédécesseurs dont on ne se rappelait d'ailleurs plus le nom et que des chefs d'état petits pouvaient aussi être redoutables, les exemples abondaient.
Comme à son habitude le petit Emmanuel courut se faire réconforter par sa tutrice, pleurnichant sur les fardeaux génétiques et leur injustice.
Sa tutrice prit sa tête entre ses mains très tendrement et lui dit : "Oui mais toi, tu parles anglais."
Elle était d'ailleurs aussi intervenue récemment plusieurs fois pour le réconforter lorsque les fantaisies guerrières pourtant bien connues d'un autre de ses rivaux, comme lui avide de la platitude des écrans, avaient fini par faire trop de bruit, tant et tant que ce dernier intervenait dorénavant chaque jour, courant sans relâche de plateau en plateau, s'exposant avec un courage et un charisme sans borne aux questions sans surprise des estafiers et décrivant, photos à l'appui, les multiples dangers de la vie lorsqu'on est nuit et jour couché dans les tranchées. Sa chevelure gominée soigneusement peignée vers l'arrière, dégageant un large front emprunt d'une rare dignité, il clamait haut et fort son point de vue sur les engagements hyper-démocratiques et la guerre sans pitié qu'ils impliquaient évidemment. Le Petit Emmanuel de plus en plus exaspéré par ce manque de connaissance du protocole de bienséance, l'observait donner ainsi des conseils au monde entier et, de toute évidence, tenter ainsi d'une façon complètement mesquine de prendre la place de Président, ce, et c'était le point le plus exaspérant, sans jamais froisser sa chemise immaculée.
Bien-sûr l'affront avait été insupportable.
"Ne m'oubliez pas, ne m'oubliez pas !"
Après tout, le petit Emmanuel avait lui aussi fait preuve d'un courage exemplaire en rencontrant en chair et en os leur ennemi commun et en déployant, assis un peu tremblant sous son œil de lynx où perçait une légère ironie, d'aucuns diraient un profond cynisme, là, parlant slave face à lui à l'autre extrémité de la table où le petit Emmanuel avait fait montre d'un à-propos exceptionnel en menant de sa propre initiative une tentative de négociation que personne n'avait prévue et qui n'eut absolument aucun effet, à part celui de permettre à tout son talent diplomatique de devenir légendaire.
"C'est injuste, c'est injuste !" pleurnichait le petit Emmanuel en se mouchant dans les jupes de sa tutrice qui lui répondit pour le calmer. "Oui mais toi, tu as de beaux costards"
( A suivre)
Huitième partie