7.03.2023

S'il n'était pas trop tard. N°1

S'il n'était pas trop tard.

La guerre, au fond, c'est quand les ennemis sont clairement identifiés, sans reste.

La guerre demande à chacun, qu'il y combatte ou non, de se positionner sur la reconnaissance de l'ennemi sans plus avoir recours au travail du temps, de la preuve ni au bénéfice du doute.

C'est un fonctionnement binaire, un face à face, qui à s'échauffer, pour un oui, émis avec ou sans vraie conviction ou pour un non, fait plonger la vision du monde sous les nuances des coupe-choux du radicalisme parce qu'il n'y a pas ou plus le choix.

La guerre, c'est quand chacun des clans, parties, livré à lui-même est prêt à nier tout fait contradictoire, toute dimension critique, toute preuve de malfaisance, toute analyse de possible origine ou genèse des situations de conflit pour se focaliser dans des stratégies de destruction et d'affirmation de pouvoir flottant en liberté au dessus des consciences. La guerre, c'est la disparition des consciences et la disparition des consciences entraîne la guerre, dans un cercle fou clos sur lui-même.

Il est trop tard pour éviter la guerre, quelle que soit la forme qu'elle peut prendre, parce que les logiques de survie et l'a-peu-près stratégique et logistique qui caractérisaient les premières insurrections sont devenus avec le temps et l'enkystement des impasses, une culture en soi, tournant en autonomie dans les restes encore fumant de l'appareil républicain.

Les réponses cherchées, les effets de manche des éternels plâtrages qu'ils soient financiers, répressifs, juridiques, éducatifs ne seront jamais qu'une façon d'envelopper pour le rendre moins sonore le marteau qui enfonce le clou chaque année depuis des dizaines d'années de plus en plus profond dans le sol d'une organisation locale de survie de type clanique, efficace, hiérarchisée, s'étant constituée des réseaux d’approvisionnement d'armes, de véhicules, des lieux de recels, autonomes et menant des batailles et des conquêtes de territoires et, surtout, ayant créé des circuits financiers, une langue et des rituels initiatiques, des valeurs, tout cela comme vie sociale parallèle suffisamment étayée et expérimentée maintenant pour qu'elle résiste à toute tentative d'aspiration ou de modération issues de "l'extérieur".

Car c'est ici que nous en sommes, pris dans et entre un "dedans" qui a été abandonné, c'est à dire livré à lui-même pour se maintenir existant et un "dehors", et qu'aucune enveloppe institutionnelle ni aucun mythe collectif ne recouvrent plus dans leur ensemble : ni sentiment d'appartenance nationale, ni codes d'usage, ni valeurs dites "morales", ni projet commun et où les deux "mondes" ne sont plus soumis qu'à des zones de frottement, des moments et des lieux de rencontres, à travers leurs représentants, avec ce qui reste de l'état : enseignants, policiers, personnels des services sociaux, personnels pénitentiaires, dont la "mission" est d'assurer, tant bien que mal, le gardiennage et l'oubli et de véhiculer les discours orthonormés de la bonne volonté intégrante.

Auxquels personne ne croit et que personne n'écoute.

L'appel à "plus de répression" est le maître-mot d'individus qui ne voient rien, ne comprennent rien et ne font que s'enfoncer dans cette binarité tératogène qui crée une faille de plus en plus profonde entre les "partis" des parties et qui peut croire pouvoir économiser la raison, c'est à dire la nécessité vitale du tiers et sa distance et économiser l'effort de la négociation, "plus de répression" parce que c'est plus facile que de penser aux ressorts anciens, structuraux de ce qui s'est délabré et que les temps se prêtent au simplisme du radicalisme des clichés et des catéchèses.

La "répression" : dans un système pénal saturé comme tous les systèmes publics, dans des centres pénitentiaires saturés eux aussi et par lesquels, c'est là que personne n'a compris comment ça marche, le passage est un passage obligé comme partie de l'assomption et épreuve clef du rituel clanique, comme validation de la virilisation au sein du groupe de "frères", c'est à dire ne fait comme évènement individuel que renforcer les postures à la fois des discours et représentations victimaires et permettre les bases organisationnelles de mise en réseau, de renforcement des hiérarchies internes, autrement dit n'a aucune vertu intégratrice sauf à ancrer encore plus profondément l'adolescent ou le jeune adulte dans l'univocité de ses repères et ses croyances.


A suivre

Petit conte amiénois Dixième partie