L'existence entière réduite au marquage ou une affaire de hauteur de chaussettes
Fear of getting old FOGO
L'existence entière réduite au marquage ou une affaire de hauteur de chaussettes.
Il est impossible de ne pas voir le lien sous-jacent, constitutif de la dynamique du marché elle-même, qui lie entre elles les idées de jeunesse, de tendance, de progrès et de changement comme principes non contestables érigés en règles de vie et cadre de pensée quant à soi-même.
Cette étrange capacité à sauter corps et âme dans ce qui est supposé dessiner le rapport à votre existence même, le nommer, l'induire, le faire "tendre vers" au sens étymologique du mot "tendance" est le résultat d'un lent et long travail de marketing et de conditionnement transmué en philosophie consumériste et qui touche tous les secteurs de l'humain "aux prises" avec le monde.
De l'étape des années 1950, scellée par l'acquisition de l'équipement ménager, de l'automobile, objet des premières crises de sens du marquage identitaire en tant qu'elle donnait du texte à ce que chacun était supposé atteindre pour se maintenir heureux et dans la course du modernisme, on est passé à la mutation de ce consommateur domestique à un consommateur du loisir, "entertained", spectateur entretenu, et s'auto-identifiant au touriste partant à la découverte du monde en le regardant puis, la bête immonde toujours en quête de nouveaux projets pour son développement, les dernières décennies ont entériné la puissance de conviction de la tendance jusqu'aux méandres mêmes de l'identité intime et du rapport à soi à travers des processus supposés naturels, incontournables comme la naissance, les processus vitaux, la sexualité et la mort, avec un goût notoire pour une terreur de plus en plus manifeste à l'égard de ce qui caractérise tout bonnement l'existence de chacun dans son essence : l'âge.
Dans ce modelage de soi jusqu'au plus profond de l'être, devenu simple peau de résonnance des discours du marketing scientifico-marchand et des diktats diagnostiques ou dogmatico-moralistes, persiste pour chaque individu une des caractéristiques du néocapitalisme sous sa version post-moderne : l'illusion féroce et muette du choix ; de ses discours, de ses goûts esthétiques, de ses partis-pris artistiques, politiques, domestiques, sexuels, autrement dit de tout ce qui, à l'appliquer pré-énoncé comme le revêtement de sa propre vie sert de message de ce lui-surface à l'autre-monde, ne s'effectuant que par un frottement des courants à son inquiétude existentielle totale.
L'individu devenu peau de chagrin, encarté à la victoire mondialiste et à ses enveloppements totalitaires insidieux, sensible en tout à l'angoisse de ne "pas en être", de ne "plus en être", caricaturée par l'assèchement habituel de l'acronyme omniprésent de l'Atlantisme faisant office de discours : FOMO Fear of missing out. et directement lié : FOGO : Fear of getting old.
Toujours déclinés dans le registre des "peurs" qui s'endossent comme des voiles d'impuissance, de lâcheté et de faiblesse civilisationnelles au regard de la tragédie incontournable qu'est la réalité de l'homme face à sa mort.
Cette même lâcheté qui enferme chacun en tête-à-tête avec tous les signes que son corps lui donne de son irreductibilite de sa complète autonomie et de l'obstacle qu'il représentera pour toujours, quoi qu'en veuille les transhumanistes, face à la simple volonté de toute-puissance, les fantasmes d'éternité et de gestion parfaite de soi.
La furie classificatoire contemporaine, illusion absurde d'un casage ultime de tous dans tout et qui aurait quelque chose à voir avec la vérité, réduction de la complexité des concepts mêmes, des mouvements dans l'épaisseur de l'ontologie et dans le pouvoir du langage, furie scientiste s'arrogeant le droit de limiter l'humain aux chairs de son cerveau et son expérience à un cumul de données, elle aussi directement importée des USA sous toutes les formes possibles : race, âge, sexe, lexique exponentiel des "troubles" mentaux, multiplication des troubles physiques, et qui a voulu et veut encore réduire chacun à n'être que le cumul de paramètres sélectionnés par d'autres pour le dire "exactement" et finie d'une façon scientifique, a l'effet mortifère de sectoriser, de figer, de définir toutes les expériences sous l'emprise d'un récit qui les précède et les induit, énoncé extrêmement pauvre mais déjà fait, ailleurs, dans les laboratoires du supposé-savoir omnipotent et distributeur des critères, des expertises, des codes de valeurs imposés sous l'égide d'un hypothétique et absolument vide "vrai soi" à peaufiner sans cesse en lui attribuant la capacité de s'extraire de la réalité du corps qui le porte, c'est à dire, en silence, de sa faillibilité, de sa limite au monde, de sa machinerie si complexe mais périssable et dans le même temos productrice boulimique des outils, chimiques, chirurgicaux, pour travailler à la maintenance, que l'objectif en soit l'allure d'une femme à consacrer par la castration ou l'éternelle jeunesse à injecter ou a replastifier.
La lutte acharnée contre "le vieillissement" avec les débordements qu'elle engendre et son imaginaire euthanasique à peine caché, n'a, en plus de ce qu'elle engendre comme angoisse et comme trahison de la re-connaissance d'une existence qui serait jusqu'àson terme en constante écriture d'elle-même et uniquement portée par le temps, que la fonction absolument invalidante de spolier chaque créature humaine de la possession d'elle-même à travers ce qui la rend unique et mouvante grâce à l'expérience et ce qu'elle en fait.
Il va de soi que derrière cette objectification du corps par l'individu qu'il incarne et le déni majeur qu'elle implique, on assiste à une nouvelle emprise de la déshumanisation de soi par soi, à la fois induite au quotidien, maîtrisée par les lois du scientisme de marché dans l'excitation émotionnelle et la violence pour tous et l'absence de perspective pour chacun. Une forme de nombrilisme global sans cordon ombilical, de sideration face à la trame des objets partiels sans cesse renouvelés, signes supposés accessibles mais toujours fuyants plaqués sur l'inconnu que je suis pour moi-même
et pièces rapportées au désêtre sous la forme de ce que je peux consommer jusqu'à la nausée de points de vue actuels, de pratiques innovantes, d'objets qui soient supposés me le dire enfin. EG