Allons enfants !
Qu'est ce que c'est " le peuple " ?
Une foule anonyme d'enfants qui ne sait pas bien ce qu'elle veut, ce qu'elle fait, ce qu'elle dit et qui doit être conduite.
Une masse, supposée réceptive, la plupart du temps, aux injonctions, aux sermons, aux prêches qui lui sont administrés avec une régularité de perfusion et qui allongée sur le lit d’hôpital de son seul pouvoir électoral se voit hissée aux tabernacles, conspuée, insultée, ramenée à quelques bons sentiments par la petite cohorte grouillante des parasites auto-institués qui se nourrissent de sa sève et de l'énergie de son travail.
La parfaite image de ce phagocytage est celle de quelques-uns de ces "représentants", regroupés sous une tente en hiver en plein Paris, vidéo oblige pour montrer au peuple leur détermination et leur engagement contre toutes les misères qui, une fois le message soufflé sur les ondes, se retrouvent dans un restaurant proche pour arroser leur action révolutionnaire avec un excellent cru de bordeaux sur leur frais de défraiements.
Dans l'apparente frénésie pré-législatives, ce qui saute une nouvelle fois aux yeux, c'est l'extrême exiguïté réflexive de l'espace interventionniste, où se mêlent les points de vue, les analyses, les déclarations, les pourparlers du cocktail morbide administré depuis des lustres par la vie-est-ailleurs parisienne, mélange des animateurs de sensations de tous poils, des politiciens à vie bavant devant le gâteau soudain accessible, de ceux, experts, spécialistes, commentateurs des commentaires, égéries des plateaux qui sont en contrat à durée presque indéterminée sous les feux de la rampe médiatique, aliénée à la réalité virtuelle qui n'a plus même à lutter pour se faire passer pour l'autre.
Qu'ont-ils à lui dire, au peuple, ces gens excités comme des puces qui ont fait vœu de parler pour toujours en son nom et de guider ses pas vers des choix éclairés, ces gens qui n'ont jamais une seule fois de leur vie eu à s'intégrer dans autre chose que dans la dynamique des salons où l'on cause et ses émoluments généreux.
L'impasse de la politique partisane, la consanguinité intellectuelle et la déliquescence morale en oeuvre depuis des décennies, enracinée sur la main-mise centralisée de la vie politique et idéologique envisagée comme unique système possible depuis des siècles animent ce parisianisme devenu obsolète, soumis pour se maintenir en scène, vague après vague, aux engouements des causes toujours très justes, venues par la mer, dont il s'est fait une spécialité de rallier sans broncher le bien-fondé progressiste jamais contredit et auxquelles il adhère à coup de hurlements et de banderoles, toujours attendues, toujours identiques, toujours terriblement ennuyeuses de simplisme et de puritanisme passionnés qui n'ont que le pouvoir de tendre leur agitation incessante un peu dans le sens du vent faute de s'enraciner sur aucune expérience critique.
C'est ça, le chaudron de cette vie qui se revendique comme la vie, la seule vie, obnubilante et tyrannique, déjà écrite et sans idées, bavasse et méprisante.
Cette vie qui tourne sur elle-même, où copulent jusqu'à l'épuisement tous les agents du spectacle, politiciens engagés, artistes engagés, commentateurs engagés dans les miroirs fidèles de leurs appétits de reconnaissance et de gloire médiatique et où la moindre réunion revendicatrice de plus de dix personnes, à la seule condition qu'elles crient fort, se voit immédiatement projetée comme un évènement en soi par ceux qui la filme parce que c'est proche de leur pied-à-terre et que, de toute façon, ça finit toujours pour passer pour important si on dit que c'est important.
Cette vie de marionnettes prises dans les rets de leur carrière, les attentes auxquelles elle se lie pour la maintenir à flot, discours déjà sus, jamais aménagés par les remue-ménages de la complexité mais cherchant à lui imposer leur formatage et les rituels de leurs cultes.
Peut-on être politicien à vie ? Peut-on être politicien sans jamais avoir été autre chose ?
Quel sens ça peut avoir de passer son existence dans ce mirage de la décision et de la représentativité quand on n'a aucune idée de ce que vivent ceux qu'on est censé représenter mais que cela ne nous prive pas de nous attribuer la légitimité de leur discours pour en parler, jusqu'à son assèchement presque complet.
C'est quelque chose comme un rejet, une nausée, un soubresaut que cette carte de France avec son œil du cyclope presque au milieu, cette carte qui n'a au fond comme message à transmettre avec les seuls moyens à sa disposition, que cette énorme fatigue de ce que l'absolutisme idéologique centralisé continue à nommer "la province", comme si la France se réduisait à cette vieille dichotomie dans son essence, cet écœurement d'être pris pour des cons comme une règle depuis si longtemps et avec une telle arrogance imbuvable par des virus installés à vie dans le grand corps institutionnel et dans la fosse partisane, des califes en mal de visibilité dont les places sont garanties, au nom du "peuple" qui lui, en bas puisque c'est la place qu'on lui assigne, bosse, sue, croit, un peu niais et illettré comme il l'est devenu, qu'il a la parole parce qu'il lève son pouce avec zèle.
Des places qu'on imagine suffisamment tièdes et si dépourvues d'enjeux quant aux réelles responsabilités engagées qu'on s'arrache les yeux les uns les autres pour les garder et qui assurent que quoi que l'on décide, quoi que l'on vote, qu'on soit présent ou absent n'aura jamais aucune conséquence réelle, des places pour lesquelles on s'auto-déchire et s'auto-congratule et dont l'efficacité ou le désastre générés ne seront jamais l'objet de compte à rendre. Des sièges qui contrairement à tout ce qui est attendu des prestations des membres du "peuple", ne seront eux, jamais évalués. E