Petit conte amiénois
Onzième partie..
Le petit Emmanuel entra dans l’alcôve comme une bombe.
Ma tutrice, hurla-t-il, ma tutrice, pourquoi ne m'aiment-ils donc plus ?
Et c'était une remarque parfaitement justifiée, personne ne l'aimait, même parmi ses anciens camarades de jeu il faut reconnaître qu'on pouvait observer depuis quelques temps une baisse d'enthousiasme qui se manifestait par certains bâillements lors de ses allocutions ou par un manque d'entrain lors des séances obligatoires pluri-quotidiennes d'applaudissements.
Tous cependant s'accrochaient à leurs prérogatives comme les moules au rocher du pouvoir et de ses falbalas et donc tous développaient des stratégies de plus en plus subtiles pour continuer malgré l'ennui à bénéficier de ses largesses.
Excepté, bien-sûr, sa tutrice qui, elle, demeurait fidèle à elle-même dans son isoloir, essayant et réessayant ses robes, commandant et recommandant des centaines de couverts en argent, tentant d'aménager des soirées dignes des grandes heures de la monarchie absolue et de ses éclats.
Elle aurait dû être reine. C'est tout. Elle s'évertuait à le prouver jour après jour, souriant et souriant encore de toutes ses dents à chaque commémoration, à chaque remise de médaille, totalement identifiée à son rôle. Elle sollicitait l'attention de quelques-unes de ses collègues à l'international, parfois assez maladroite dans la maîtrise du protocole mais si créative dans les modalités originales de ses réceptions qu'on lui pardonnait presque ses impairs. Après tout, n'était-elle pas seulement une parvenue, un exemple de l’ascenseur social aménagé pour certains de ses enfants par la république et qui, une fois pris, ne redescendait jamais si on savait se faire des relations et sur quelle touche appuyer pour rester dans la cabine.
Bien-sûr, l'histoire étant toujours ingrate avec les leaders charismatiques lorsque la vérité sortait enfin du trou, malheureusement tous deux ignoraient encore qu'ils resteraient dans les annales comme le couple présidentiel le plus haï de toutes les républiques depuis la première.
Ils l'ignoraient parce qu'ils travaillaient main dans la main, sous l'œil sagace de leur tatie du Palatinat pour l'avènement du changement et que le petit Emmanuel n'avait comme seul projet politique que la ferme intention de devenir le chef de ce changement à l'échelle mondiale et même plus loin.
Dans le mouvement incessant de leur ascension vertigineuse, balisée de décisions aberrantes, de ruines à peine identifiables et de déclarations inintelligibles, qui laissait comme une odeur de sulfate derrière elle, ils n'avaient pas le temps ni la force de regarder autour d'eux, enclos qu'ils étaient dans la forteresse de leurs fantasmes devenus réalité et dans la griserie que procure le pouvoir, son exercice et surtout ses abus, griserie toujours renouvelée à chaque choix décisif impliquant les reprises en main, la totale disparition ou la conservation relative de tous ses administrés auxquels, quoi qu'il arrive, il survivrait de toute façon.
Il était protégé, en sus des cabinets anglo-saxons complètement globaux qui le guidaient, par sa légende autochtone soigneusement entretenue, sa biographie tout imprégnée de son excellence et des limites inatteignables de son intelligence exceptionnelle.
On avait pris l'habitude de croire que lorsqu'on ne comprenait pas bien la logique de ce qu'il décidait, et il décidait sans arrêt, qu'une certaine toute-puissance machiavélique l'animait, le considérant comme une pointure de subtilité stratégique et d'anticipation habitée par des démons manipulateurs.
C'était tout à fait faux. A l'image de tous les débris de matière grise dont il avait fait sa spécialité de s'entourer, le petit Emmanuel était simplement un peu bête, au sens où rien de ce qu'il disait, imposait, assurait, promettait, n'était vraiment issu de sa propre réflexion ni de son génie politique mais lui était envoyé comme consigne par textos. Rien de ses tocades n'était inscrit dans une anticipation des enjeux, à part celle de mettre au mieux le bordel le plus complet, dans une perspective à moyen ou long terme.
Sous sa calotte crânienne ne bouillonnait aucun autre projet que sa maintenance en haut-lieu, de plus en plus haut même si le lieu lui-même était encore assez peu délimité et si il ne savait toujours pas qui et surtout quoi il était supposé y promouvoir à part lui-même.
Dans ce vide abyssal où il errait et où son unique capacité était celle d'offrir en cascade plein de passages à l'acte incongrus qu'il cherchait à faire valoir comme du courage politique, sa seule arme était ce qu'il savait dire, et il le disait, exigeant d'être vu et revu et rerevu par son patronat, par sa patrie, par son peuple, par ses vassaux et ses ennemis, par les étrangers, les vieux, les agonisants, par les adolescents, les minorités, les laboureurs et leurs enfants, les habitants de Vézon la romaine, ceux du quartier Tabarre à Port au prince, tout ce monde flou pour lui mais tellement éducable qu'il menait depuis des années de son pas ferme vers leur transfiguration positive.
Immunisé aux conséquences, n'ayant que son verbiage pour se donner du corps et la ligne bleue ultra-vosgienne à l'horizon, il leur offrait avec générosité le flux incessant de sa logorrhée bénie des dieux du marché, érigée au cours de toutes ces années en une forme de délire monomaniaque et que quiconque écoutant un tant soit peu ne pouvait qu'entendre résonner comme une conque, vide, bien sûr.