7.30.2024

Le petit conte amiénois Quinzième partie

Petit conte amiénois
Quinzième partie

"De quoi ?"
Le petit Emmanuel en était devenu tout vibrant d'exaspération.
"De quoi ?"
Ses conseillers lui avaient distillé les nouvelles une à une à voix basse et sincèrement, il n'en croyait rien.
"De quoi ?"
Pourtant si, pourtant si, ça n'avait pas vraiment plu à la surface du globe.
Et de lui fournir quantité de brochures, d'extraits de podcasts en Birman, en Cornique, en Basque, des quantités de gros titres, venus de divers angles du monde, Asie, Afrique et tout le tremblement qui montraient, puisque c'était nécessaire, que l'ensemble de la planète était plutôt refroidi par ce qu'il avait anticipé comme le spectacle le plus incontestablement parisien, le plus foutrement innovant de tous les spectacles depuis le début des temps.
Il en connaissait toutes les étapes par cœur, ayant lui même planché sur chacun des thèmes, chacune des interventions et non, vraiment il ne voyait pas ce qui pouvait les défriser là-dedans.
C'était novateur, novateur et novateur.
C'était complètement inclusif.
De toute façon, qu'ils se la mettent tous où ils voulaient, c'était ces gabegies de travestissement qui l'excitaient et il avait bien précisé au petit factotum que rien de la norme si ennuyeuse et de l'histoire si hétéronormée de ce pays dont il ne se souvenait plus du nom qui avaient été en vigueur depuis beaucoup trop longtemps ne devait être perceptible.
Le petit Emmanuel en faisait une affaire personnelle, comme tout ce qu'il décidait jour après jour, et il avait décidé de transformer cette cérémonie, un peu coûteuse, il en convenait, mais on a rien sans rien, en hommage à sa tutrice bien-aimée.
Le petit Emmanuel ne voyait jamais au-delà de la sphère révolutionnaire du changement, sphère somme toute assez restreinte, de ceux qu'il avait choisi et dans les banquets et les festivités quasi quotidiennes qu'il organisait avec sa tutrice au Palais, il ne s'enquérait jamais des avis des invités.
Quelle fût donc sa surprise lorsqu'il appris que ça n'allait pas fort partout ailleurs et que les prouesses de ses artistes anémiés payés les yeux de la tête et plus n'étaient certes pas du goût de tout le monde.
"De quoi ?"
Cette sorte de retour de manivelle n'avait pas du tout été anticipé et il avait beau savoir que ses lampistes lui arrangeraient une bonne pirouette pour le sortir de là, c'était rageant, rageant et rageant de voir à quel point il était une fois de plus méconnu, mal compris, dénigré par toute cette population conservatrice qui le huait et se rebiffait contre la délicatesse pourtant évidente de son bon goût et de ses choix esthétiques et prosélytiques.
"Je sais comment traiter les majorités, qu'ils ne l'oublient jamais, j'ai fait mes preuves et ma tatie teutonne prépare pour la rentrée un bel outil d'enfermement des récalcitrants qui sera pour l'ordre et la tolérance une avancée fulgurante"
Il enrageait, il bavait légèrement d'amertume, il allait encore falloir s'excuser, il allait encore falloir s'adresser à son peuple pour éduquer, et encore éduquer à ce tournant anthropologique majeur qui mettrait uniquement des eunuques et des invertis bien montés à la tête de tous les projets culturels pour le reste du millénaire.
"Je vais réécrire la constitution, tu vas voir ma tutrice !"
Sa tutrice, lorsqu'il lui déploya un à un les changements radicaux qui se préparaient, se sentit toute chose et lui demanda si il avait prévu d'y adjoindre les figures de la répression pour les lents et les insubordonnés de tous bords.
"Ils ne sont pas de tous bords, Tutrice, ils sont tous d'extrême-droite et je suis depuis quelques heures centre-gauche."
"Oui, bien sûr mais as-tu pensé à rafraîchir la mémoire de la réaction et à lui suggérer ce qui lui pend au nez en conviant ce bel outil qui permit dans nos heures les plus performantes, de mettre toutes les têtes dans le même panier ?"
Et il fût ravi de cette généreuse idée, de ce rappel subtil des grandes heures de l'effroi, et il lui jura qu'il ne manquerait pas d'insister auprès du groupe de scouts progressistes en charge afin qu'ils intègrent l’esthétique et la perspective bienfaisante de la terreur dans leur prestation fédératrice atemporelle.




Décapités nous sommes.