Nous ne nous parlerons plus jamais.
Si nous nous parlons et que chacun de nous a construit l'intime conviction d'être le porte-parole de la vérité, qu'advient-il de nous, qu'advient-il de la vérité, emmurée qu'elle sera alors sous la conviction qu'elle doit, pour chacun de nous, s'imposer ou périr.
Si lorsque tu me parles, tu brandis entre nous une force immatérielle mais toute-puissante qui te tient lieu de justification ou d'argument, parle en ton nom et que c'est en ce nom que tu entres dans ce qu'on appelle une relation, où es-tu si je te cherche et où suis-je ?
Si nous nous parlons et que ce que tu sais de moi est construit en amont sans jamais devoir m'entendre, si ce savoir te suffit et m'exclut de ce cercle clos de convictions que tu n'as jamais besoin de développer, de décrire, d'argumenter, dont tu ne peux pas apprécier la précarité ou le degré d'usure, où se situe l'espace nécessaire d'une pulsation du doute, du sous-tendu du "oui mais"qui nous laisse, à toi comme à moi, la possibilité de respirer chacun à notre rythme.
Si me cibler, me cataloguer, m'inclure ou m'extraire de ta vision de l'humanité est la seule possibilité pour que tu te maintiennes dans ce savoir qui ne se tient qu'à délimiter en permanence ses frontières, que reste-t-il d'autre que l'élimination comme elle se dit elle-même " pure et simple" de ce qui déborde d'humain dans l'humain que tu crois voir ?
Si tout de ce que tu dis, montres est tracé ailleurs par d'autres mais que tu ne sais plus par qui ni pourquoi, si tu plies toute ton existence à des préceptes qui la modèlent sans lui laisser l'espace et l'instabilité du risque nécessaires à oser l'expérience ni la nécessité de déterminer toi-même quelles sont tes erreurs afin de les incorporer non comme le combustible de la culpabilité mais comme la seule énergie motrice, où est ta vie, à qui appartient-elle ?
Si ta route semble déjà tracée à travers la marche exclusive sur le dogme qui lui sert de sol, comment peux-tu voir ce qui se déroule de chaque côté de toi et lui conférer le rôle de moteur pour avancer sur un chemin dont tu ne peux pas, ni pour toi ni pour moi et quoi que tu tentes pour prouver le contraire, jamais connaître ni les fondations ni le point d'arrivée.