6.03.2018

Quelques Hypothèses sur les hypothèses

Une des nécessités vitales pour l’humain est de se repérer, de se placer par rapport à ses congénères, à son environnement, à ses obligations, et, surtout peut-être par rapport au mystère incompressible de sa propre mort.
La donnée ontogénique de la causalité lui permet d’effectuer ce travail, la plupart du temps en s’appuyant sur des cadrages préexistants, religieux ou sociétaux, où il s’intègre sans en avoir une claire conscience et qui répondent à ces “ questions fondamentales “, en utilisant l’immense ressource des préconçus, a priori, clichés et autres “savoirs sans suite”.
Ce qui est recherché dans ces recours, à titre individuel, c’est une sorte d’économie de travail élaboratif, une économie d’hypothèses, de questions sur la validité de ces hypothèses, un travail de construction de savoir et, avec cette construction évidemment, de déconstruction. Manœuvres personnelles d’une dynamique épistémologique qui, tout en garantissant la précarité intrinsèque d’un rapport à la réalité “ à tendance objective”, et lui donnant de ce fait une sorte de caution, au moins dans la démarche, (mais y a-t-il en fait autre chose que des démarches quand il s’agit de sonder sa place au sein du Réel ?), est l’annonce de longues heures d’errance et d’inconfort pour un bénéfice plus que douteux pour l’action et la prise sur ce même réel.
Savoir, ce n’est pas savoir ce dont on parle, c’est parler de ce qu’on sait. Dire ce qui du Réel se balise et s’appréhende pour pouvoir passer à autre chose. Les points de vue ainsi émis, pour soi et pour les autres, demeurant imperméables aux événements, c’est à dire aux faits et à leur nécessaire interprétation, pour demeurer lisibles de la même façon, et permettre ainsi de se frayer un chemin bon an mal an jusqu’à la tombe, qui , elle aussi, reçoit son comptant de réponses.
Il est dans ce recours si communément partagé, une forme assez paradoxale d’immobilité constitutive de la marche en avant que représente toute existence. Si jamais on souhaitait se considérer comme “acquis” à soi, donner des réponses ou quadriller l’environnement de savoirs déjà-là serait la meilleure solution, si efficace que certaines croyances ayant cette fonction sont plus arrimées que toute preuve possible de leur extravagance.
L’engouement contemporain pour les choses de la “ science “ est une marque supplémentaire de ce besoin d’ancrage qui précède le rapport au savoir, étant savoir supposé lui-même et permet de se situer. Il n’est ici aucune question de logique, de démarche, aucune question préalable mais une forme de création de territoire protégé de tout risque épistémique.
Par contre, si ce confort-là semble plutôt une sorte de prison confortable, une des seules solutions est de créer soi-même les conditions d’une posture renouvelable d’insécurité cognitive et, cela va de soi également émotionnelle, en se déracinant régulièrement et en tentant de faire de la pénétration dans l’inconnu un mouvement pour soi-même aussi peu dessiné que possible.
La seule avancée que l’on puisse espérer est celle du doute, et il n’est pas de mouvement sans cette inquiétude qu’il génère. Il a été évoqué par cette belle image l’ ”Inquiétante étrangeté" et on peut y lire, autant qu’un moment au sens propre “d’égarement“ de ces mêmes repères conscients, la matrice d’un état de recherche, quasiment pure, de rapport au Réel.
Un état d’insécurité qui est la base motrice-énergétique de la quête de réponse et de la création de catégories. sachant que c’est cette même capacité à catégoriser qui est à la fois une donnée motrice mais aussi, comme but atteint, une donnée figeant toute alternative aux possibles changements de postures de ce mouvement.
EG

Ce qui ne nous tue pas ... N°2