6.03.2018

Tirer ma langue

Une nouvelle fois, au détour de ces publications pléthoriques, on a eu l'extrême peine de lire dans une revue française un article sur le "recycling art". On voit ce qui se passe et qui dans les brouhahas des causes désespérées si nombreuses, dans l'immédiateté des millions d'aspirations narcissiques à rester dans le flux et celle des communautarismes réactifs ne se laisse pas clairement identifier comme un danger absolu. 
L'américanite est pourtant une maladie chronique de l'esprit, elle endommage à jamais les cellules de la création de concepts, d'images, de symboles et on lui laisse le pouvoir d'effectuer pour le monde entier ce travail de l'imaginaire sur le Réel que seule la langue peut permettre. Partout ailleurs se "récupèrent" avec les signes visibles, vestimentaires, alimentaires, artistiques, médiatiques, dans la même mouvance que l'imposition jamais discutée des monopoles des corporations tout-puissants, de nouveaux stéréotypes qui n'ont pas le temps de s'être élaborés, modelés, sculptés par le travail de la langue sur leur pertinence et qui s'imposent sans que quiconque ait pu leur donner les racines ni le temps nécessaire de l'incubation pour qu'ils prennent effet de sens et soient ainsi porteur de changement.
Ce plaquage effectue un mouvement à contre-courant de celui nécessaire à la création des concepts elle-même, où c'est la prise progressive sur la réalité qui se questionne sous un autre angle et qui génère la nécessité de la nommer, provisoirement, au plus près dans un ordre chronologique incontournable. A l'inverse et d'une façon tératogène, ces importations de représentations déjà-là infligent aux volontés d'adapter en retour leurs visions, leurs productions, quelles qu'elles soient, à ce qui les désigne a priori, occultant ainsi la première et indispensable étape de contact régénéré avec la réalité précédant l'élaboration conceptuelle et la capacité à mobiliser des sous-entendus symboliques et de l'imaginaire spécifiques à chaque culture.

 La globalisation de l'âme d'une nation s'effectue par une forme de paresse à oser créer autrement sa vision du monde à travers l'élaboration de nouvelles images ou de nouveaux symboles, et ce faisant à évoluer et à faire évoluer la capacité d'analyse collective à travers eux. C'est une perte non seulement d'identité mais de tout contenu qui puisse donner à cette identité, toujours à créer, à redessiner au fil de son histoire, une matière symbolique suffisamment dense pour qu'elle serve d'appui à ce travail de construction. Chaque nouveau concept importé sans cet effort préalable d'indépendance intellectuelle du champ des représentations est un abandon de soi dans la matrice de l'autre, cet autre hégémonique et se voulant tel, volontairement actif dans l'imposition de sa langue comme la seule langue qui sache le monde. EG



Une cerise sur le cheese cake
Qui pourrait songer à retenir la langue ?
La regarder suffisamment profondément dans les yeux pour la troubler
Lui donner le bon fil à retordre afin qu'elle se survive
Et que ceux qu'elle abreuve sans compter soient bien conduits
Bien clairvoyants
On entend le glissement, une avalanche lente
Parsemés du bout des lèvres
Comme des signes d'appartenance au grand mouvement global
L'améritude qui rampe et contamine avec discrétion
Tous les champs des métaphores
Qu'on pensait, il y a quelques jours, bien fertiles
La profusion des images possibles qui semblaient définitivement colorées
Sabotés par la traîtrise baveuse des mimétismes
Le sacrifice s'opère sans témoin
Même ceux qui ont les oreilles qui grincent
Ne peuvent que baisser les têtes et pleurer
Pleurer face à tant d'insignifiance
Pleurer sur l'infidélité à ma langue
Pleurer longtemps et chaque jour
Pris dans l'étranglement de l'abandon
Une vénalité un peu rudimentaire
Éprise des clichés venus d'Outre-Atlantique
Maniés avec l’insouciance d'enfants
Aveugles aux rayures et aux étoiles
Présents dans chacun des idiomes de l'empire
Qui marquent seulement notre immense lassitude
Notre terrible indigence
Notre lâcheté aussi
Juillet 2016
Une cerise sur le cheese cake 
Dans " Petite politique"

Ce qui ne nous tue pas ... N°2