10.30.2018

20% de tristesse

 Le diktat du bonheur utilise la techné pour déterminer si vous êtes assez heureux, ou modérément triste, ou légèrement trop triste. La tristesse est quantifiable et régulable pour se glisser sous constant auto-contrôle dans une norme de plus en plus éthérée et omniprésente. Le nouvel ordre moral met l'humain dans une incapacité complète à même envisager sa condition comme tragique et à donc créer et se créer, afin de faire quelque chose de cette dimension tragique. Pas de heurts mais un état de neutralité des affects et de la pensée permanent, pas de vexations mais le contrôle de toute pensée critique pour le bien être d'identités à la fois fugaces et absolutistes.
 La techné précède et suit, modèle et anticipe les désirs d'uniformisation et l'insupportable du manque et de la frustration. Le scientisme médicalise toute émotion et la quantifie comme telle, arrachée de cette alchimie si complexe qui crée et caractérise l'être humain. Nous abandonnons notre condition, abandonnons la capacité de nous penser, de penser notre désarroi d'humains parlants, d'éternels condamnés à la solitude absolue de la conscience, du poids à porter pour la responsabilité de cet écart et cette quête structurels de l'espace jamais fermé entre nature et culture, entre sauvagerie et civilisation qui nous condamne à nous réinventer sans cesse. Nous la sacrifions dans cette évidence tyrannisante d'un bonheur quantifiable, univoque et uniformément possible, un bonheur qui considére la mort comme quelque chose à "gérer" et l'angoisse comme un "trouble de la personnalité " à contrôler et éradiquer comme une forme d'anormalité, un bonheur érigé comme mantra d'une culture déshydratée et à bout de souffle, prise dans l'absence de réponse et dans les remous aveugles des extrémismes de tout crin, spécisme, veganisme, ultraféminisme, transactivisme, toutes ces pulsations signes de l'impasse à nous mettre à notre propre distance, celle de la réflexion, de l'imaginaire, de ce qui dans l'être n'est qu'un reflet.
Nous avons fait disparaître, avec et grâce à cette capacité à nous mettre sous contrôle permanent, à rendre des comptes sans répit à ce nouveau grand Autre médiatique et à éviter tout choc et tout mouvement désigné par lui comme pénible et généré pourtant par la conscience d'exister elle-même, tout ce qui occupait l'espace entre le savoir et la vérité, ce lieu vide de la recherche qui est notre pensum, nous rendant de plus en plus impotants, dévorés par le sentimentalisme, par le réductionnisme, par la causalité toute-puissante et sa vision binaire et religieuse du monde. Nous sommes à bout de ressources, internes plus qu'externes, pris dans un systéme dont le pragmatisme avait donné les clefs et qui n'ouvre que des combles obscurs condamnés à l'utilitarisme . L'humain ne se survit que dans la gratuité de sa présence au monde et avec et à cause d'elle, dans l'idée du sacré. EG

Happy with a 20% chance of sadness
The burgeoning science of mood forecasting aims to track and perhaps even predict emotional low points. Several research projects report that they can predict the onset of conditions such as depression or suicidal thoughts using data collected from wearable sensors and smartphone apps — and up to a week in advance. The thorny question is what to do with that information. “Do we send an ambulance? Contact their doctor? Do nothing?” wonders psychologist Matthew Nock. “The ethics of this are extremely challenging.”


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