Métastases globales.
Lorsque le diagnostic tombe, tout bascule.
On entre, chacun à sa façon dans l'ère de la maladie, celle d'un corps qui tout à coup se défile, qui vit sa propre vie en vous laissant la seule possibilité de repenser votre volonté, votre résistance, votre souplesse, votre solitude, votre angoisse, de replacer aussi chacun des éléments de votre vie passée, qui soudainement viennent s'entrechoquer en désordre face à la réalité du constat : la maladie est devenue le centre de cette existence, sans votre accord. C'est elle qui maintenant mène le jeu et vous qui la suivez.
C'est elle maintenant qui vit son aventure, avec vous. C'est autour d'elle et de ses multiples avatars, examens, attente des résultats, examens, traitements, contrôles des traitements, que votre temps tourne dorénavant. Avec une étrange nouveauté à apprécier, celle d'un temps sans avenir autre que la dialectique de la survie. Pas de projets possibles à moins que, pas de construction d'un avenir fantasmé à moins que.
Quelque chose de ce qui vous liait au temps avec un tempo plutôt sans souci, une molle adéquation, a disparu, condensé dans la dureté du constat de votre limite et de votre soudaine réclusion à la passivité.
La maladie incurable de notre monde provoque la même stupeur mal assimilable, nous sommes suspendus, ponctuant chaque décision ou chaque constat qui pourrait avoir des conséquences dans l'avenir d'un à moins que.
A moins que rien n'ait plus vraiment d'importance en ce qui concerne l'imaginaire d'un avenir, à moins que ces métastases qui entrainent maintenant l'obligation de résister dans chaque coin de ce grand corps malade, de ne considérer cette planète que comme un organisme atteint des mille maux de multiples fibrômes qui se sont développés lors des décennies précédentes. Comme dans la maladie, chaque pas est alourdi par le savoir qu'on en a. Chaque choix, chaque instant par l'ignorance du délai possible, et contre cette ignorance, nous vivons comme si. Nous engloutissant dans des passions contraphobiques, des pare- angoisse, des idées simples, usant des moments qui défilent comme si. Faisant des enfants comme si, aimant désaimant comme si, comme si la saine avenue de nos désirs pouvait continuer à nous pousser comme elle l'a toujours fait, avec ses hauts bien brillants et ses gouffres, mais avec "quelque chose" après, quelque chose qui nous verrait devenir, un but, un idéal, la prise de notre destinée dans la grande fresque de l'histoire.. Mais la maladie est là et elle est incurable. Tous ces moteurs jusqu'alors silencieux sont devenus des mascarades, des rituels obsessionnels qui taisent leur nom, là pour continuer de nous appuyer sur les mêmes ressorts tout en sachant qu'ils sont brisés.
Une vie entière de "comme si". Pour chacun, avec plus ou moins de souffrance ou de conscience, plus ou moins de colère ou de sacrifice, plus ou moins de culpabilisation ou d'ignorance, la sourde certitude que le temps s'est arrêté tapisse notre chronomètre, le temps est devenu celui de la maladie, avec sa logique qui nous est étrangère, nous condamnant à marcher derrière, privés à jamais de l'illusion d'un acte possible sur notre destin. EG