1.26.2019

" J'écrie comme je veut "


The neoliberalism functions not simply as an economic model for finance capital but as a public pedagogy that operates through a diverse number of sites and platforms.  in The language of neoliberal education Henri Giroux

" J'écrie comme je veut "
Comme devant toute situation profondément perturbante, de celles qui amènent à se demander comment on a pu en arriver là, la répétition quotidienne du constat de complète déréliction de la qualité de l'écrit, et plus encore l'absence de conscience de la portée de ce massacre et de questionnement sur ses possibles origines amènent à chercher l'anesthésique de l'entendement. Et c'est une remarque "J'écris comme je veux " , recopiée ici corrigée, qui a généré cette réflexion qui n'est évidemment qu'une étape, quasiment dérisoire et certainement contestable face à l'ampleur des dégâts...
On peut stigmatiser l'enseignement, les usag
es massifs des écrans, mais cela ne suffira pas à comprendre pourquoi l'auto-contrôle qu'implique impérativement la rédaction de tout écrit a disparu et pourquoi il semble de bon aloi de pouvoir "écrire comme on veut". On laissera de côté la classique comparaison du "fond" porteur de vérité contre la "forme", elle supposée être menteuse et élitiste, argumenter sur l'impossible exclusion de l'une par l'autre n'est pas le but.
L'hypothèse momentanément et partiellement curative des cornées en feu sera que c'est encore un des effets du progressif passage à l'individualisme dominant le paysage idéologique du néolibéralisme qui a massivement frayé sa route dans le monde entier pendant ces dernières quarante années.
Il s'agit de l'idée néfaste même si elle n'est pas explicite que la langue puisse être quelque chose avec lequel on "est libre", et qui puisse devenir vôtre comme n'importe quel bien de consommation, comme si elle pouvait échapper à son destin de matière  et de constituant même de toute relation et bien commun premier, à la fois dans l'espace et dans le temps, autrement dit, l'idée que comme tout bien à s'approprier, on puisse lui faire subir tout et n'importe quoi en négligeant sa fonction avant tout communicante et symbolique unifiante. La dimension de l'autre présente dans tout échange langagier, fût-il avec soi seul ne fait pas bon ménage avec la toute-puissance narcissique du consumérisme qui a modelé les pensées, les comportements avec ses diktats de jouissance exponentielle et de tyrannie de l'éphémère. Les mots ont à la fois une fonction de trace, tangibles dans le temps et pouvant marquer des changements de direction personnels ou sociaux fondamentaux et une qualité d'éphémérité apparente qui leur donne un statut particulier en ce qu'ils engagent tout en paraissant vides de matérialité. Et le néolibéralisme, si il se nourrit de l'éphémère, de l'oubli et de l'effacement systématique fait mauvais ménage avec l'engagement et le long terme, comme il fait mauvais ménage avec l'impact de ses choix et avec la conscience de leur aliénation à toute cause commune. Or la langue est la toute première cause commune, avec ses limites, ses règles, ses difficultés, son histoire et ses multiples complexités et les jouisseurs et jouisseuses néolibéralisés n'ont que peu de goût pour l'atermoiement et les contraintes, quelles qu'elles soient. Le diktat de l'immédiat et de la liberté dont il est dit qu'elle est nourrie de plaisir et d'individualité toujours à conquérir ne peut se satisfaire d'une denrée qui ne serait pas efficace immédiatement, sans relecture, c'est à dire sans délai, ce délai comprenant bien sûr dans le cadre de l'écrit, la dimension de l'autre qui lit et de ce qu'on lui doit de soi. EG

Ce qui ne nous tue pas ... N°2