Yum yum! Hope everyone is
having a fabulous time today at the @Magnum#NeverStopPlaying launch
in Cannes. This is a very special campaign as I strongly believe in the
importance of living by your own rules and not taking life too seriously.
Yum yum!
Première partie : Les Vieux Truismes pour les Vieilles peaux
Avant toute chose,
il peut être nécessaire de citer ces quelques lignes de Bernard Stiegler,
tirées de son ouvrage "De la misère symbolique" afin de situer ce qui
suivra dans la perspective d'une spécificité humaine à ne "pas être"
sauf à se dire. Les hypothèses d'un processus de vieillissement qui lui aussi
doive s'inscrire dans cette absence de nature, c'est à dire dans une
nécessaire construction de soi et du rapport au vieillissement fournis par la
place historique et son discours conjoint s'appuient sur cette même
vision d'une "nature" humaine condamnée à l'artefact, ou
peut-être, dans une perspective similaire, à la "scène", au théâtral
que Legendre donne comme instituant. "L'homme est ce vivant qui n'a de
qualités que dans un rajout d'artificialité. Son essence est faite d'artefacts.
Sa nature est originairement secondaire. si l'essence de l'homme est toujours
artefactuelle, elle est toujours le sujet de débat, de controverse, de polémique
et même de guerre."
Il existe un
mouvement de fond, principalement aux USA et majoritairement guidé par des
femmes, qui cherche à faire tomber les préjugés, les supposés-savoir et
toutes le formes de discrimination qui les accompagnent quand est évoqué
"l'âge", c'est à dire l'euphémisme de circonstance pour parler de la
"vieillesse". Ces femmes se présentent régulièrement, pour ne
pas dire quotidiennement principalement sur Instagram et font de leur vêture et
de la liberté postulée à son égard, leur arme contre une fossilisation
prématurée de leur volonté, de leur énergie et de leur désir de vivre et de
vivre reconnues et en beauté.
Comme l'illustre le texte ci-dessus en
italique, commentaire d'un post d'Iris Apfel âgée de plus de 80 ans, une des principales
égéries de ce mouvement, devenue sur ses vieux jours le symbole d'un lien
impérissable à la mode et à l'image de soi qui ne connaîtrait pas le ghetto des
catégories d'âge, les selfies de la plupart de ces "vieilles
peaux" sont associés à un court commentaire, lié à la défense d'une
certaine philosophie de l' "art de vivre" sur la spécificité
idéologique duquel nous reviendrons dans un deuxième temps.
Cette première
partie sera consacrée à certaines hypothéses concernant les difficultés
inhérentes à l'extraction du carcan des préjugés sur l'âge.
La vieillesse,
c'est une affaire complexe parce que, plus que la majorité des diverses
expériences traversées au cours de l'existence, ce n'est pas un terrain
pré-balisé par une idée sous-jacente de devenir, on y dépose, dans l'idée et
dans ce qu'elle montre et cache à la fois, le postulat d'une sorte de but
atteint, de fin de l'expérience qui ne facilite pas la tâche de désigner et par
là de s'approprier à titre personnel cette même expérience, sauf à chercher à
l'appréhender à travers les poncifs et les représentations culturelles
ambiantes. Ne négligeons jamais le fait que "l'individu", cellule
symbolique et imposée des temps modernes post-modernes, l'indivis au sens
étymologique, se place d'une façon illusoire en miroir à l'espèce, c'est à dire
comme élément séparé, distinct formant une sorte de tout circonscrit, dans les
imaginaires contemporains certainement, mais non dans l'épreuve de la réalité
qui le traverse des contenus de son temps historique, des valeurs et des
paradoxes de ce temps et, surtout peut-être, de ses discours. Il y a un
discours aisément perceptible sur la vieillesse, d'ailleurs suffisamment
superficiel pour mettre dans un même contenant sans discrimination des vies de
sexagénaires, de septagénaires et autres, la seule borne étant, même si elle
n'est pas évoquée en tant que telle, celle de l' "âge de la retraite"
. Comme si, à partir du moment où la butée de l'activité économico-sociale
avait été atteinte, tout ce qui la suit était une seule et même expérience,
uniforme, identique pour chacun et chacune et qualifiable d'une façon
univoque.
Il s'avère que dans
la mesure où personne ne peut anticiper ce qu'il sera ou deviendra dans
un temps qui a prise sur son corps hors de sa propre maîtrise, un temps
qui le devancera toujours et auquel il doit, d'une certaine façon
"absolument", c'est à dire pour une simple question de survie,
s'adapter presque en permanence, les représentations engrangées, adaptées sans
sourciller, véhiculées par les médias, les clichés etc. servent de livre de
chevet à cette impossibilité de déterminer, malgré l'illusion d'un fil
d'existence continu, qui on est supposé devenir "après", dans son
rapport sans cesse changeant à son corps, son rapport au temps, son rapport à
l'amour, à la sexualité, à la maladie.
Il va de soi qu'il
est plus facile, même si cette facilité apparente se paye douloureusement, de
se référer pour soi-même à ce qui est supposé être attendu à cet égard par les
imaginaires collectifs. Ce balisage socioculturel des représentations permet de
renverser la temporalité inhérente au corps sauvage et de la faire précéder par
des projections déjà-là en y scellant dans un modèle discursif et
identificatoire préconstruit le rapport strictement personnel à l'expérience
unique et insue de sa propre vie.
Que ces mêmes
représentations soient en partie criblées par la peur larvée de la mort qui
occulte la vision du chemin vers la prise en compte du vieillissement comme
étant la vie même, ne nous surprendra pas. Ce qui se manifeste à travers
les stéréotypes est suffisamment chargé d'images négatives pour le rendre
lisible comme une forme de déni sans trop d'effort.
Un des plus solides
pôles de résistance de ces poncifs est donc le rapport au corps et à ce qu'il est
supposé perdre de besoin d'être désirable. On y lit en négatif un amalgame
entre l'idée que cette "désirabilité" ne serait qu'un des outils pour
créer les conditions des accouplements productifs, et que, une fois cette
mission généalogique accomplie, il serait en quelque sorte livré à
lui-même, et à sa décrépitude, et accompagnerait pour se survivre la
procréation dans l'investissement des joies nouvelles de la grand-parentalité.
Même si cette mission plus ou moins consciente accordée au corps et à sa jeunesse
n'est pas aussi explicite à l'heure actuelle, ayant fait glisser les centrages
vers le développement et l'accomplissement social de l'individu au prix d'une
rupture avec ses liens générationnels, elle n'en demeure pas moins active, à la
fois comme lieu de sustentation priviligié du marché, point sur lequel nous
reviendrons et comme matérialisation du mythe social de la famille-noyau,
élément structurant majeur de la société. Là encore, la lutte des couples
homosexuels pour obtenir le droit au mariage, et donc pour la création d'une
famille, est également un des indicateurs de la survivance du poids structurel
de cette entité du groupe social de base comme valeur essentielle dans la
société occidentale contemporaine. Il va de soi que dégagé des questions
épineuses de la transmission des valeurs collectives et du lignage qui
permettent de donner collectivement une place spécifique aux adultes
non-éleveurs, le rôle réel et symbolique du vieillard devient comme un
lieu vide, dont il se trouve lui-même héritier et responsable, c'est à dire
auquel il doit pour vivre, donner un contenu en le désignant avec tout
l'appareillage des signifiants disponibles.
On fera l'hypothèse
que dans la "faille" de l'animal-humain, l'impératif de se désigner
soi-même par et à travers le code convenu d'une culture "toujours
déjà-là" , de s'approprier ce code pour le faire sien, au sens fort du
terme, c'est à dire aussi Soi, peut être envisagé comme dépassant le strict
rapport au discours qui permet de s'attribuer ce qui vous dit afin de le
restituer en échange, pour s'appliquer à ce devenir du corps lui-même. La
préséance du temps organique sur la conscience et l'appropriation de son
évolution et de ses changements ouvrent un terrain inconnu à chacun. Il y va
d'une sorte de perpétuel va et vient entre le "fait" biologique
constatable et sa transformation en ciment de construction d'un Soi à travers
le miroir, à la fois immuable et d'une complète précarité, les diverses formes
des glissements de genre prouvent à quel point cette base de l'indivis est
malléable et contingente au temps qui la porte et la modèle.
Plus que modèle, on
pourrait, particulièrement en ce moment, parler de modélisation, et dans le
contexte de cette aventure de l'âge et du corps qui l'accompagne, l'absence
d'expérience première, préalable, inflige à chacun l'usage d'une sorte de
garde-fou en la présence d'un savoir supposé, assimilable et offert par
l'extérieur qui permette de se rallier à la communauté en renvoyant de soi ce
qu'elle est supposée attendre. Comme dans la nécessité de faire corps au
discours pour assumer sa posture d'animal-humain, on peut postuler que les
représentations du vieillissement modèle le corps à travers le retour
d'expérience intime et reconductible à l'infini afin de lui faire adopter ce
que les représentations ambiantes comblent du vide des représentations
expérientielles. Il en va de changements hormonaux, physiologiques bien-sûr
mais il en va peut-être surtout de changements de posture qui se modifient par
une sorte de prudence métaphysique, en fonction de ce qui est supposé être
envisagé par tous dans la façon d'être et de se dire d'un soi
vieillissant. Le corps se plie aux contours dessinés ailleurs.
Nous faisons
l'hypothèse que, comme les discours et les comportements, la vêture et le
corps qui vit dedans adoptent eux aussi les shémas esthétiques attendus pour se
maintenir à flot dans le collectif qui sanctionne le degré de
"conservation", bonne ou moins bonne de ce corps et donc sa
désirabilité, au sens de la libido présente dans toute manifestation du vivant,
face au regard de l'autre et l'image de soi. Bien conservé étant le terme
utilisé d'une façon automatique et se voulant flatteuse sans montrer
explicitement les sous-entendus réifiants qu'il suppose, comme référant à un
corps-objet-mort mais étonnement encore vivant.
Vieillir, c'est
d'abord cette expérience intime sans balise, plus indéfinie dans son contenu
que tout autre temps de l'existence mais aussi paradoxalement plus
soumise aux préjugés ou pré-conçus sociaux divers. Et dans ce croisement
de deux tensions incompatibles, se plier aux appels d'offre de ce qui semble
déjà-su est plus reposant que de s'inscrire, au sens propre du terme, comme une
lettre inconnue sur son propre agenda.
On pourrait
rapidement faire référence au décalage, à la fois dans l'axe du lignage plaçant
chacun dans un continuum entre vie et mort et lui attribuant une place dans la
dynamique historique et sociale, entre les sociétés occidentales et les
sociétés traditionnelles. En termes très généraux et forcément
caricaturaux, le code d'accès à la vieillesse est préétabli dans ces
dernières en une obtention de place attribuée dans la vie symbolique et
rituelle de la communauté, le rôle de ce statut spécifique dans l'organisation
temporelle et imaginaire de cette communauté et le savoir postulé à
transmettre, ce qui permet à cette "expérience" personnelle de
s'effectuer comme un advenir dépositaire d'une connaissance sur la vie même et
son sens et de s'extraire en quelque sorte de cette dimension privée et intime
pour se formuler avec des outils discursifs et symboliques communs, et se
faisant de prendre sa valeur aux yeux de tous. Dans le contexte contemporain
occidental, comme le mot retraite et sa polysémie l'indiquent, ce temps est un
temps d'exclusion des champs du savoir dynamique, des compétences impliqués et
imbriqués dans la vie sociale dans son ensemble. Hors d'une dynamique rentable,
productive, il ne reste, au sens propre, plus rien que l'on puisse dire de soi
comme être vivant-mourant, mis à part ce qui pend au-dessus de l'expérience
comme ses slogans existentiels, que, face à ce désert symbolique, individuel et
collectif, chacun vieillissant endosse bon an mal an comme siens et comme
Soi. Même si cette uniformisation, là comme ailleurs, laisse à l'expérience
elle-même un arrière-goût d'incomplétude, d'irrationnel, de décalage. Ce
déséquilibre entre le discours social et l'expérience individuelle non
formulable est lié à l'absence de reconnaissance spécifique au contenu de
l'expérience de vieillissement autrement que comme la désignation d'une
invalidité potentielle ou d'une disparition postulée de la libido comme
énergie vitale.
On peut rappeler la
fréquence d'un discours sur soi qui évoque le fait de "rester jeune",
ou le décalage entre l'âge civil et le ressenti lié à la vie quotidienne, comme
si face à ce qui est la matrice même de l'existence prise inéluctablement dans
le temps, n'existait aucune façon d'harmoniser cet âge du calendrier, visible
donc par tous et par soi, et le contenu d'un déroulement ayant sa propre
logique et porteur de ses propres caractéristiques mais inqualifiables
autrement que comme un écart. Il n'existe pas de représentations
collectives d'une vie et des activités de tous ordres qui lui soient inhérentes
autrement que sous la forme d'un reliquat de "jeunesse ", autrement
que dans des manières d'être vivant qui seraient autres que d'être
seulement "encore vivant ".
Un court moment
pour se dire que si la "vieillesse" est subie comme une sorte de tare
ou d'impuissance par tant de personnes, jusque dans le dessin de leur corps
qu'elles abandonnent à ce qui s'en dit, jusque dans la fixité des goûts, dans
le rapport de plus en plus passionné à la maladie, jusque dans les propos
qu'elles tiennent imprimés déjà-là sous le poids étouffant des représentations
collectives contemporaines, rigides, lapidaires et simplettes, c'est parce qu'à
n'être jamais interrogée comme part absolue de la vie et expérience à créer de
soi pour soi comme le sont toutes les expériences et passages fondamentaux de
l'existence, l'âge a perdu sa substance même et sa capacité unique à être le
devenir en soi. Se dire, sous la pensée de masse et ses limites, validée comme
seule référence et seule forme de savoir sur ce qu'il en est de vieillir, que
ce pillage de l'expérience personnelle et l'abandon de ce qu'elle implique de
travail et de découverte sur l'être toujours à conquérir, sur son rapport au
temps, à l'espace et à la finitude, jamais atteint, chemin jamais parcouru à
débroussailler vaille que vaille jusqu'à la mort, prive, sous couvert d'une
norme d'ostracisme bien-pensant et d'exclusion balisée, chaque individu, femme
ou homme de ce qu'il se doit à lui-même dès qu' il est conscient d'être seul et
vivant. Face à lui-même et en gestation jusqu'à son dernier souffle.EG