Prêter sa femme 26 juillet 2016
“ Ici, les hommes prêteraient plus facilement leur femme que leur voiture.”
La première réaction évidemment est cette sensation de violence épidermique, d’injustice qui accompagne le sentiment que l’on est encore si loin d’un véritable changement des mentalités. Femme objet, femme offerte. Femme muette sujette aux transactions entre hommes. Femme manipulée par le discours. Femme signe de réussite. Nombre de femmes ou beauté de la femme ou âge de la femme. Il s’y trouve toujours le même abcès, la même peine derrière les scintillements du succès et de l’ambition et la réaction émotionnelle qui les accompagne en tentant d’attribuer une forme d’évaluation morale à de tels propos. Féminisme, oui, allons-y pour féminisme parce qu’il n’y a de toute façon pas vraiment de choix d’une part et qu’il semble que la conquête d’un droit d’être ne puisse passer que par le repérage permanent des brutalités symboliques énoncées comme des évidences.
Et puis vient une idée, un éclairage soudain qui oblige à constater les formes d’une sorte d’impasse. Il s’agit de l’usage de ce qui constituerait, comme une réaction de réhabilitation morale du genre, d’une spécificité des qualités féminines qui pourraient contrer les si vieux poncifs des patriarcats. Plus de. Plus de compassion, plus de douceur, “plus de” que l’idée que les femmes ont de leur propre “nature” absorbe ou s’approprie, prise entre son propre mythe d’advenir et la réalité des exactions réelles ou symboliques masculines.
Mais “moins de. plus de” que les hommes, dans l’advenir de ce qu’on pourrait qualifier d’égalité, c’est à dire dépourvu des traces rebelles de la misogynie, ça n’existe pas. Simplement parce que dans ces termes de comparaison, une plus ample grandeur d’âme des femmes est tout bonnement une autre forme de préjugé sexiste et que, si égalité on cherche, elle passe aussi par l’ajustement à une problématique commune à tous les genres : celle de tous, hommes et femmes quant à leur rapport au pouvoir. Et bien sûr aux diverses formes de son exercice. Dédouaner, sous prétexte qu’elles l’exercent en bien moindre quantité que les hommes, les femmes de tout rapport à l’exercice du pouvoir, tout comme leur attribuer par leur possession d’une sorte d’instinct une plus grande sensibilité au respect du vivant, ce sont des éléments de l’imagerie qui attribuerait une forme de connaissance spontanée, génétique, en quelque sorte gratuite et bénévole des clefs de l’humain à travers la maternité, identique à toute femme de tout temps, se débarrassant dans une forme d’idéalisme de toute question sur les impacts culturels et politiques dans la genèse de ce que nous vénérons ainsi comme inné. Prétendre à la “bonté “ à la “douceur” de la femme, comme à des formes phylogénétiques de sa condition, c’est éliminer la nécessité de l’analyse de sa condition. Éliminer du même coup la nature purement arbitraire et historique de la construction du modèle familial, la place et le rôle des éléments de cette famille et leur contribution, consciente ou non, à l’édifice social. Et organisant ces schémas, les divers types d’exercice du pouvoir qui les sous-tendent.
Les mythes ont la peau dure. Même dans la neutralisation institutionnelle occidentale, ils trouvent les moyens de s’épandre, de donner forme et sens à ce qui se joue d’une idéologie patriarcale encore extrêmement vivace. Il serait donc nécessaire de “ déféminiser “ les attributs des femmes dans le contexte de la domination masculine et de revenir à ce qui la caractérise comme forme politique d’exercice du pouvoir, les pièces, éléments qui s’ajustent dans son contexte ne pouvant s’en extraire en tant que tels puisque leur image, projetée ou appliquée est parti prenante de la construction de ses soubassements même. Il serait également nécessaire de ne pas avoir à faire des choix entre des modèles de moins que, plus que et entre des dualités qui ne peuvent que se renvoyer en miroir leurs propres caractéristiques, dans la mesure où ce sont ces mêmes caractéristiques par construction et par fonction inconciliables qui assurent la genèse même de ce système. C’est de cette binarité dont le patriarcat se nourrit, au sens quasi cannibal du terme et d’elle dont il tient sa résistance, qu’elle prenne l’aspect d’une répression aveugle et violente ou d’une pratique langagière criblée de références à la hiérarchie des places occupées.
Il semble que si quelque chose s’apprend, cela passe par une neutralisation des premières réactions, toujours émotionnelles, revêtues, de par l’urgence à se protéger, par un appareil de préconceptions, de formules, de clichés qui si ils mettent à distance la sensation viscérale d’injustice et d’impuissance ne permettent pas d’aller tenter de lire les enjeux, plus obscurs mais aussi plus chargés de ce qui pourrait se qualifier de “vérité“. Ceci est valable dans n’importe quelle situation où l’on côtoie, sous une forme de passage à l’acte ou sous une forme de discours, l’humiliation, le stigmate, la possession, l’inégalité, l’exploitation, bref, tout ce qui se traîne dans, autour, au-dessus de l’exercice d’un pouvoir.
Le tiers de ce système ne peut être que la question posée aux fondements inconscients du pouvoir lui-même, à son vertigineux appel et à la jouissance unique que son exercice engendre. Le pouvoir n’a pas de sexe, quoi qu’on puisse en croire, c’est pour cela qu’il se pose sur le premier terrain de différenciation possible comme sur ce qui lui donne son objet. Le pouvoir est avant tout une capacité à devoir s’exercer, une forme de pulsion primaire, qui pourrait fort bien avoir trouvé sa genèse dans les toutes premières heures de la vie et dans les aléas de la toute-puissance, chronologiquement bien avant l’Oedipe, tout à côté de la pulsion de mort. La psychanalyse s’est tout de même assez curieusement à notre connaissance très peu penchée sur l’arsenal de l’exercice du pouvoir, on pense à Legendre, à Enriquez. On postule que peut-être cette question même et la nécessité de la décomposition des multiples formes de cet exercice auraient amené des ébranlements dans les velléités plus ou moins conscientes des théoriciens. Par contre, au regard de tant de faits de politique générale comme de faits sociétaux, il semble qu’un travail de mise au clair de cette force semble impératif. EG
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