12.27.2019

Gouverner une foule d'enfants

 Il va de soi, et ceci pour beaucoup d'entre nous, que les résistances gouvernementales à l'entendement demeurent un sujet d'agacement, de colère, que la tentation face à toute perplexité est de lui poser sans plus attendre une casquette. On ira donc, pour ne pas trop perdre de temps et manipuler des étiquettes qu'on pense maîtriser facilement, vers celle des "totalitarismes", "fascismes" tous azimuts : CRS : SS.
C'est bien connu. 
Au regard de la gravité des exactions, du niveau, accepté sans faillir, de violence, de la corruption morale de la justice, ce n'est d'ailleurs pas faux mais pas non plus suffisant pour tenter de comprendre ce qui "LIE" ce gouvernement, plus que tout autre connu de mémoire d'homme hexagonal, à son "peuple".
Cette solution épistémologique express laisse de côté une sensation diffuse d'incompréhension foncière, radicale au sens premier, de langages comme parallèles qui ne peuvent pas  se croiser, qui ne s'entendent pas, et ce même si quelque effort était fait, apparemment de toute bonne foi, de la part de la direction. 
Législatif, exécutif, tous roulent à l'aveugle sans hésitation en semblant savoir "absolument" où ils se dirigent mais sans avoir les outils pour questionner ouvertement, à travers les secousses qu'elles génèrent, ni le bien fondé des mesures choisies ni le peu de succès qu'elles rencontrent auprès d'un pourcentage si important, quoi qu'en disent les sondages, de "la masse".
Plusieurs fois depuis le début de ce qui demeure tout de même seulement un "mandat", le discours du chef de l'état, c'est à dire, qu'il le veuille ou non, du Président de la république française, s'est entendu comme celui d'un être guidé, un peu, toute similarité hâtive gardée, à la manière des Guise de la répression catholique légitimiste si sanglante, par une sorte de droit, de flamme divine, une auréole de foi assez éloignée des cadres de la rationalité auxquels la plupart des français sont habitués.
Un trop, un débordement, une forme d'extase permanente dont on a même cru qu'elle pouvait avoir des origines chimiques. Un trop de fanatisme, un trop d'obstination, un trop d'excitation, un trop de provocation, un trop d'aveuglement, un trop d'arrogance. 
Un mouvement de l'excès donc complètement antinomique avec le débat de raison propre à la démocratie.
Mais, si il était encore nécessaire de le prouver, nous, en France, ne sommes plus en Démocratie.
Parce que ce qui qualifie les participants à la Démocratie, c'est un modèle relationnel, un a priori : la capacité à être, dans et hors de l'hémisphère, à la fois des interlocuteurs et des maîtres de leurs destins politiques, leurs représentants étant supposés ne faire que mettre en oeuvre des aspirations qui sont pensées, analysées, et soumises aux échanges sur les grands projets de changement les concernant.
Parce que la Démocratie est le présupposé, dans son postulat même, d'une composante adulte, majeure, transversale donc de l'électorat et de ses édiles.
Et que, dans la confusion sur sa construction par essence sans cesse à repenser, la Démocratie en France a été balayée par la fièvre du supposé-savoir imposé de l'esprit néo-libéral.
Ce que le néo-libéralisme met en jeu à chaque minute, c'est la distribution verticale des compétences,  il en a fait la démonstration avec sa création simultanée d'une catégorie sollicitée pour tout et obéie sans discuter d' "experts", et, aussi, au niveau de ce qui est supposé être part indispensable de toute vie personnelle bien menée, le postulat d'une forme d'immaturité intrinsèque uniquement modifiable grâce à un "développement personnel" mené de préférence avec des  "coachs" maîtrisant  ce que la base ignore : les objectifs à atteindre et les moyens d'y parvenir pour devenir enfin "soi-même". Il s'agit, sous ces deux formes de statut, d'un droit supposé acquis à penser, agir, décider par ceux qui sont identifiés, auto-identifiés en tant que "winners" dans la binarité propre à l'idéologie néo-libérale qui éradique toute possibilité de  débat parce qu'elle met en jeu une forme de paternalisme sur-moïque, non perçu comme tel, du savoir qui s'oppose  en miroir et a priori à l'ignorance des foules. 
C'est ainsi que les gouvernants du régime néo-libéral désignent leur mission : une mission avant tout éducative, étayée par une définition et une approche scientifique  de ses choix et, si l'effort consenti par leur savoir échoue à persuader, une mission d'imposition, par un bon droit détenu, tout comme la place accordée au monarque comme représentant de Dieu sur terre,  par un choix effectué dans les coulisses des supra-riches  et de leurs valeurs qui maîtrisent et créent les régles à partir de leur idéologie  utopique de dominance financière et mystique.
L'analyse des rébellions ne peut pas reposer sur un questionnement du bien fondé des choix politiques, ceux-ci étant fruit sacralisé de ce savoir détenu par l'élite, mais elle butte sans cesse sur le questionnement de la capacité ou de l'incapacité des masses à "changer", "évoluer"  et pour se faire à "comprendre" la teneur des changements  éclairés imposés.
Mettre au débat des contenus dont une des parties n'est pas supposée entendre convenablement l'essence, c'est déjà poser qui mène et sait, et qui détient donc le droit à la parole, sans rémission autre que la force à opposer, sans jeu possible.

Les décisions prises, les discours, ce qui, à bon droit peut sembler ressortir à une "simple" arrogance, ne sont que les preuves visibles d'un droit acquis, suivant les règles du succès libéral, non discutable, à savoir plus, à savoir mieux, à savoir tout ce qui concerne la bonne marche d'une nation et de son peuple dans la foire au nanti globaliste.
Les membres de ce gouvernement SONT les échos de cette foire, pénétrés, imprégnés, formatés à travers la méritocratie fictive, par le poids des capitaux accumulés faisant force de loi et de valeur ultime et le sens messianique de leur réussite. 
Lorsque la vérité est détenue par un seul des bords, et que ce bord la considère comme indubitable, il ne reste au "reste" que les spasmes de l'idolâtrie ou ceux de l'étranglement.
C'est ceci, avant tout, qui caractérise ce régime, une appropriation de toute bonne foi du savoir, une connaissance de ce qui est juste et bon dans l'absolu et la réclusion des ignorants dans les fosses de l'infantilisme à vie.
Les effets secondaires sont terrifiants puisqu'ils induisent avant tout une attitude de protection le plus souvent maladroite, à l'encontre de cette minoration de soi et de sa capacité d'entendentement  permanents, la mise en cause des décisions n'étant jamais attribuée à leur inanité potentielle mais au simple fait qu'elles ne peuvent pas être comprises, Cette minoration, qu'elle se manifeste dans le discours ou par la force brute qu'on applique aux individus devant être "dressés" et surtout "conduits" à bon port, crée une posture d' opposition latente qui épuise les énergies combatives et rend l'interlocution d'égal à égal difficile tant les représentations des fonctions et des rôles de chacun semblent inscrites dans une sorte d'ailleurs tout-puissant  incommensurable.

Ce qui ne nous tue pas ... N°2