2.29.2020

On a cru N°2 Hommage à Jaime Semprun









On a cherché, parfois, une finitude où s’ouvrirait immédiatement et pour des siècles la conquête enfin achevée d’un lot commun à tous, dressé, tout comme sur les nôtres, sur les sépultures de nos voisins mais nous n’aimions pas les voisinages. Nous voulions pénétrer sur des territoires vides de leur présence, le fait de savoir qu’ils se vouaient  une ferveur identique à celle qui nous habitait quand nous célébrions notre association intouchable avec les forces occultes, les condamnait à disparaître, comme nous risquions de disparaître sous la question que leur mythologie absurde nous posait.
On continuait de boire, sous diverses formes, aux sources des lignages, ouvrant nos communautés, aux bords parfois indécis, aux perfections des races et des sexes en les refermant sur elles-mêmes presque jalousement.  Sous l’étendard d’une identité unique dans le temps et, plus délicat, dans l’espace, on était supposés se tenir bien serrés les uns contre les autres, tous ensemble, apaisés enfin, nous aimant sans contrainte dans notre harmonie enfin révélée. 
Mais une telle stabilité des humeurs nous a vite lassés. On continuait de croire aux sangs purs, on a pourtant cherché à les ancrer, victimes de nos anciens préjugés atticistes, dans une finalité collective, ça marchait quelques temps aux prix de gros efforts mais nous laissait toujours consternés de voir, à chaque fois, que l’appropriation de l’essence qui nous était propre, qu’on arborait dans nos catégories, nos pensées, nos danses et sur nos peaux, dans l’encre de nos tatouages et aux fronts de nos totems était si exclusive de celle de nos semblables. Très vite, sans vraiment se le dire, on a commencé à chercher, là où certaines zones étaient restées sombres sous l’impeccable éclat de la justice universelle plébiscitée, s’il n’y avait pas quelque chose, quelqu’un qui sait, à redresser, afin de le faire accéder à l’extase libérale à nos côtés.  On était, dans nos gènes, des pédagogues, avides de transmettre notre savoir sur l’ensemble de la communauté humaine et son destin, savoir durement acquis au fil du temps mais péremptoire.  Savoir validé à chaque nouvelle découverte sur la face cachée de la réalité par nos experts et nos guides. Pour faciliter cette passation, on a pensé utile de ressortir les outils que nous maîtrisions pleinement déjà. On a donc une fois de plus beaucoup haï et beaucoup cassé, ne sachant jamais vraiment ce qui était premier dans les raisons que l’on se donnait, de l’outrage ou de la vengeance. On a vibré des mêmes émotions philanthropiques en observant les résultats de nos certitudes allongés là, en désordre, sur les sols encore fumants. On a chanté les victoires, gorges ouvertes. Pendant que nos hymnes à la liberté enfin reconquise s'élevaient vers des cieux devenus cléments, on a appris à fermer les yeux sur les déchets recouvrant la conquête, ivres de l'excitation des grands dangers de l’aliénation enfin soumis. On a chanté quelques temps les victoires, puis on les a oubliées. 
Forts de nos expérience passées, on a extrait des charniers quelques enfants en bas âge, afin de bien nous démontrer que nous n’en voulions pas à l’espèce, à qui nous souhaitions tout le bien possible, mais que notre mission d’éradication de la barbarie devait en passer par quelques prises de position radicales. Simplement, puisqu’il était nécessaire de nous justifier, nous n’avions pas de temps à perdre en processus de développement des consciences, toujours lents, et si souvent générateurs de grandes déceptions.

Ce qui ne nous tue pas ... N°2