On a cru. On a créé ce qu'on a cru,
on a promu ce qu'on a cru, on a effectué des allers et retours, emportant sur
nos dos et dans nos charrettes tout ce qui nous reliait à notre au-delà, des
affaires, des biens, des accessoires indispensables à nos célébrations, nous
avions besoin d’outils, de beaux outils pour nous assurer de la légitimité de
notre mandat. On a emballé le réel avec nos babioles, on en a gravé la pierre,
tenté d'immobiliser les lieux et les moments par des célébrations, on a croulé
sous une dévotion toujours un peu excitante, une foi qu'on aurait mâché
constamment entre nos dents pour lui donner la perfection digestible dont nous
avions tant besoin, l'aura de la vérité infaillible. Pour nous assurer du soutien de nos
objets sacrés, on a versé dans des prosélytismes enflammés, coupé des
cous, des bras, des jambes, créé des supplices d'un obsessionnel raffinement
, des arrachements tatillons pour éradiquer le mal de nos vies, le mettre au
plein jour de sa destruction sous nos yeux, on a regardé brûler en nous sentant
apaisés par ses cris, la bête extraite enfin des sombres dédales de nos
pensées. Les traits tirés par tant de jouissance messianique mais un peu
nauséeux à avoir dû tourner ainsi, nuit et jour, des mois durant autour
des tas de chairs énucléées de nos hérétiques, un peu écoeurés par une odeur
que nous finissions toujours par reconnaître comme étant nôtre.
Revenant petit à petit à la raison, on a
finalement accepté de cohabiter avec les quelques survivants, d'abord en nous
faisant un peu prier par des instances théocratiques puis, l'habitude aidant,
l'atonie de l'habitude, en réussissant à supporter sans se formaliser, de plus
en plus souplement, c'est à dire en les noyant dans les nécessités du
quotidien, toutes leurs exécrables coutumes, leurs psalmodies, les calendriers
de leurs prosternations.
Au nom d'une sorte d'intelligence
collective durement gagnée, d'une conscience de notre rôle petit à petit
maîtrisées, on devenait même lentement particulièrement tolérants.
C’était stimulant. C’était risqué. En fait, conscience et intelligence
s’imposaient presque à notre insu, venues, sans devoir perturber notre orgueil
légendaire, des tréfonds pour nous inaccessibles, de notre doute.
On s'est amollis, on a penché, d'abord
imperceptiblement, puis de plus en plus arrimés à quelques certitudes, vers la
croyance en l'acceptation et proclamé tout le bien qu’on en attendait avec les
mêmes vibrations des cordes vocales que quand nous pourchassions, hurlant après
elles, tous en chemises de drap blanc, pieds nus, chantant nos psaumes, les
queues pointues des démons qui souhaitaient notre perte.
Au fil des temps, traversant en tout sens
des eaux troubles, il a fallu tout de même nous survivre, après nos
frayeurs vengeresses, nos processions ensanglantées de terreur eschatologique, il
a fallu pour tous ne pas mourir sous les coups donnés puis reçus, hiérarchisés
ou massifs des guerres et des massacres qui nous échauffaient constamment la
bile, alors on a construit des ponts dans l’épaisseur du réel, dans la
quasi-certitude de notre extériorité définitive à sa présence, un peu à
l'aveuglette, c'est à dire sans but bien conscient, nous sentant simplement
saturés par notre propre acharnement à la destruction des corps, on a cherché à
se rejoindre un peu mieux, on a cherché l'union, mais aussi, malgré notre
application à désirer l'entente qu'on cherchait ainsi sans limite et vraisembablement
mus par une sotte mais tenace habitude, hasard, nécessité, qu'en
savions-nous, nous avons pris la peine malgré tout de laisser au-dehors
de nos coalitions devenues si chères à nos coeurs purifiés, un peu d'espace libéré
de toute bonne volonté.
On a développé le cru dans son potentiel
humaniste, c’était vraiment une belle trouvaille pour calmer les esprits et
adoucir les rancœurs, pour aussi cesser de perdre du temps à fourrager dans les
bedaines encore tièdes et se remettre enfin sérieusement au boulot.
On avait nos jokers bien en main cette
fois, on les tenait pour de bon, sûrs de nous, nos croyances pleines de
fraîcheur en l’empathie, en la générosité, en l’égalité et en un tas d’autres
choses suffisamment flexibles, extansibles à merci dans leurs applications pour
toutes nous convenir plus ou moins, nous servaient de tremplin, de
passe-partout. On en propulsait de nouvelles au zénith quand les anciennes
commençaient à s’épuiser.
Avec une nouvelle ferveur presque
intacte, on dessinait de nouveaux liens, des passerelles, d’où on observait
ensemble le vide soudain laissé sous nos pas par l'union où, à notre insu et
notre étonnement, continuaient étrangement de grouiller encore çà et là
quelques créatures assez difficiles à identifier, apparemment pourtant
radicalement autres, mais bon an mal an, nous étions rassurés, assurés enfin
dans la paix de notre place par l'accès direct au royaume immuable de la juste
cause.
On a cru N°2 , On a cru N°3, On a cru n°4
On a cru N°2 , On a cru N°3, On a cru n°4