On a souffert, souvent, longtemps, beaucoup, on s’est dit que c’était un signe, que toute l’ignominie de nos appétits devait bien se faire pardonner, se payer, on a regardé alors de côté pour voir où était celui qui portait la faute, le débauché plus débauché que nous qui générait par ses vices, des catastrophes d’une telle ampleur.
On a beaucoup souffert, la liste des formes prises, toujours sans prévenir, par nos malheurs nous laissait stupéfaits, impuissants, une succession soumise à une telle capacité de renouvellement de l’horreur qu’on ne pouvait que l’attribuer à une force extrinsèque, créative, omniprésente à nous détailler jusque dans nos soupentes. On essayait pourtant d’y voir mieux, d’y voir clair, de boucler tous ces indices inextricables dans une logique transparente, une attache causale qui nous libèrerait pour un temps de la souffrance et de ses mystères.
On savait, on savait sans pouvoir se le dire que tous les artifices, les falbalas, les décors cachaient mal notre plainte, que tous les psaumes et les incantations, au fond, ne scandaient que notre plainte. Notre gémissement premier et cette volonté de comprendre jamais pleinement rassasiée rejaillissaient par à-coups, chaque fois dans un fracas insupportable, dans les bruits des édifices qui s’effondrent et des paroles qui soudain deviennent inaudibles. On a lu dans les étoiles, dans les vagues de froid au printemps, dans les marcs, dans les statistiques et les diagrammes, dans les entrailles de grenouilles, de cerfs, dans les propos délabrés des folles errant sur les routes.
On s’est aussi dit que c’était par cycles, qu’il suffisait d’attendre.
On a souffert, on s’est dit que c’était aligné sur le temps, alors on a souffert avec des buts, des échéances, des idées assez précises sur la rétribution de notre peine, sur une ultime justice qui viendrait à bout de l’instable et des vacillations infinies de notre position.
Et puis, quand à force de travail, au prix d'un effort acharné, la souffrance s’est enfin allégée puis a subitement cessé, on s’est aperçu, plutôt piteusement qu’on en était rendus tout chose, qu’elle nous manquait, et qu’à sa place ce qu’on ressentait, comme une sorte de vague malaise, c’était de l’ennui. Et sans nous le dire non plus, on a trouvé que c’était pire.
On ne pouvait pas s’y faire, on renâclait, on
cherchait une voie moyenne, un équilibre, même relatif, on devrait tout de même
bien réussir à tout planifier et contrôler, on ne
pouvait pas imaginer qu’il n’y aurait pas de fond à l’insondable, pas de bord
où s’appuyer autour du trou toujours béant de l’inconnu.
On voulait de l’ultime, de la vérité indéracinable brandie contre les zones obscures du présent et l’absence de sens des passés engloutis. On effectuait en permanence des révolutions du savoir. On les accompagnait par des objets nouveaux, toujours anticipant des besoins que nous étions incapables de formuler nous-mêmes et qui nous devenaient très vite indispensables. Notre mémoire n’avait plus lieu d’être puisqu’elle ne nous ouvrait les portes que de royaumes obsolètes. Ceux qui nous avaient précédés ne maîtrisaient pas les véritables enjeux, d’une certaine façon, on les plaignait, privés comme ils étaient de tout notre bagage de connaissances irréfutables. Il allait bien falloir un jour où l’autre pallier le grand relâchement de nos aînés, il allait bien falloir nous changer, et tout en ignorant ce qu’on allait chercher, tout en ne posant sur ce qu’on quittait que des suaires, on pouvait donner l’impression qu’on allait partir en souhaitant rester. C’était là, en partie, un terrain glissant.
On voulait de l’ultime, de la vérité indéracinable brandie contre les zones obscures du présent et l’absence de sens des passés engloutis. On effectuait en permanence des révolutions du savoir. On les accompagnait par des objets nouveaux, toujours anticipant des besoins que nous étions incapables de formuler nous-mêmes et qui nous devenaient très vite indispensables. Notre mémoire n’avait plus lieu d’être puisqu’elle ne nous ouvrait les portes que de royaumes obsolètes. Ceux qui nous avaient précédés ne maîtrisaient pas les véritables enjeux, d’une certaine façon, on les plaignait, privés comme ils étaient de tout notre bagage de connaissances irréfutables. Il allait bien falloir un jour où l’autre pallier le grand relâchement de nos aînés, il allait bien falloir nous changer, et tout en ignorant ce qu’on allait chercher, tout en ne posant sur ce qu’on quittait que des suaires, on pouvait donner l’impression qu’on allait partir en souhaitant rester. C’était là, en partie, un terrain glissant.