Aidés par l’effervescence permanente, la grande gaieté subie grâce à la réincarnation incessante des loisirs technologiques et la plongée partielle dans l’oubli de notre impuissance à comprendre nos morbidités chroniques, on s’est libérés tous en chœur des efforts vains à consacrer à l’effort de se libérer, en tout état de cause et malgré les polémiques de plus en plus bruyantes sur les nouveaux objectifs radicaux du changement, on a dû s’avouer qu’on ne savait plus vraiment de quoi.
Pourtant, c’était quantifié, on croyait de
mieux en mieux, on avait gagné en licence, en vraie démocratie des points de
vue et des opinions, on posait nos avis sur chaque évènement comme sur une nouvelle
victoire, chaque commentaire comme les sellés sur le corps mort d'un ennemi. On
maîtrisait, on savait, on le disait, haut, toujours très fort, près à sauter à
la gorge du moindre opposant, on plantait à même ce savoir nos dents un peu cariées
par les nourritures trop douces. On croyait d’une façon de plus en plus
renseignée, rigoureuse. C'était semblait-il, en faisant toute leur place, quel que soit notre objet, à la tension générée par notre capacité analytique et à l'émotion continue provoquée par notre exaspération, le seul moyen d'éradiquer la peur du vide de nos esprits constamment échauffés.
On traçait, avec le déploiement toujours accru de nos ressources, un peu étourdis par leur prolifération si soudaine, des sortes de chemins qui mèneraient à des hospices, à des lieux encore hors d’accès où le monde dans son unicité et les messages qu’il révèlerait nous deviendraient familiers, où une sensation d’apaisement, de destination enfin atteinte nous achèveraient. En attendant, on adulait beaucoup, on adulait tous ensemble, on adulait nos images, on adulait nos mythes qui coulaient dans nos veines comme une histoire de l’évidence, on projetait dans notre nouvelle logique de l’efficacité rationnelle la compréhension de nos gloires déchues, la fascination pour une innovation permanente de nous-mêmes, on condamnait, avec une conviction argumentée, régulièrement pour maintenir le confort des rituels, certains membres de notre propre foule au bûcher de l’ignorance et du laisser-aller.
On traçait, avec le déploiement toujours accru de nos ressources, un peu étourdis par leur prolifération si soudaine, des sortes de chemins qui mèneraient à des hospices, à des lieux encore hors d’accès où le monde dans son unicité et les messages qu’il révèlerait nous deviendraient familiers, où une sensation d’apaisement, de destination enfin atteinte nous achèveraient. En attendant, on adulait beaucoup, on adulait tous ensemble, on adulait nos images, on adulait nos mythes qui coulaient dans nos veines comme une histoire de l’évidence, on projetait dans notre nouvelle logique de l’efficacité rationnelle la compréhension de nos gloires déchues, la fascination pour une innovation permanente de nous-mêmes, on condamnait, avec une conviction argumentée, régulièrement pour maintenir le confort des rituels, certains membres de notre propre foule au bûcher de l’ignorance et du laisser-aller.
On se renouvelait. On s’améliorait. On
s’optimisait. On se finalisait presque jour et nuit. Pourtant, sur cette ligne devenue
enfin droite de notre devenir, on oscillait sans cesse entre notre folie, si
souvent visible qu’il nous était impossible de la plier discrètement dans un
coin de notre conscience collective, et nos volontés, appuyées de techniques
orientales ayant résisté à l’épreuve du temps, de tirer de nous le meilleur, un
meilleur actif, sans tache, un meilleur à conquérir sur les échelles de notre
maîtrise qui nous permettrait enfin d’acquérir le plein accès à la perfection
de nos rendements, qui nous permettrait de vraiment réussir.
On a cru qu’un jour, l’empire de la raison
dresserait ses propres bornes là où nous avancions en fermant les yeux, on
pourrait enfin s’accrocher à la solide consistance qui nous garantirait contre
notre impuissance et nos fébrilités. On
a pensé alors que le monde, que les mondes allaient se révéler à nous dans leur
unicité sans faille, qu’ils allaient nous donner le signal d’un vrai
commencement, une réponse enfin inamovible à l’énigme de leur présence. Et surtout à l’énigme de la nôtre. On a
travaillé, beaucoup, à les révéler et, au fur et à mesure de ce qui venait se
décrypter sous notre appétit fébrile, à les posséder aussi, à les amollir sous
les frottements assidus de nos savoirs, à les rendre maîtrisables sous la coupe
de notre intelligence de l’utile.
Alors, bien calés sur l'efficacité sans
fond de nos sciences, préservés de la quête enfin achevée du sacré et du
flamboiement de tous ses avatars maintenant surannés, on a tout fait : creusé,
ouvert, poussé, relié pour enfin savoir complètement.
Mais chaque nouvelle certitude était suivie
d’un rictus qui, après les premiers étonnements et les premiers spasmes du nouveau,
remplaçait le sourire plein de béatitude de la découverte, au bout de quelques
années, quand nous pouvions mesurer les effets assez paradoxaux de sa mise en
pratique et les limites de son utilité.
On créait, avec notre création même, des
déchets dont nous n'arrivions jamais à anticiper la nature, qui venaient chaque
fois peser sur nos illusions.
On allait mettre à nu la fonctionnalité de
l’univers, l’innocenter en lui dévoilant sa finalité, sans ses esprits retors,
sans ses démons et ses démiurges, sans ses gnomes et les dragons de ses Golgothas,
sans les sagas qui continuaient à nous tenir couchés sous leur pesanteur.
On allait transcender la nécessité
humiliante du bien, apaiser l’inconfort de l’errance et de la solitude
cosmique, s’organiser sans rendre de comptes, confier à des équipes
ultra-lucides le traitement de nos disgrâces et le destin sans pitié de notre
espèce élue. Mais mus par notre créativité bienveillante, nous n’avons pas su
extraire nos pupilles du miroir enfumé de nos cupidités et de l’aveuglement
qu’elle traîne, attaché à leurs cous.
Nous n'avons pas su nous suspendre
au-dessus de notre propre temps, sentir la relativité de ses scansions et la
disparition inéluctable qui ponctue tout essai.
On croyait à notre pérennité, on croyait à
l’inéluctabilité de notre présence.
On a cru qu’on était chez nous.