A nos amis américains, avec nos compliments.
"Il nous semble qu'il faut bien aussi considérer ces individus supra-individuels que sont les différentes sphères d'appartenance (lignées, peuples-nations, ethnies, races mêmes toute communauté mi-réelle mi-fictive, dotée, au moins virtuellement, d'une auto-représentation différentielle, c'est à dire d'une identité collective, d'un "nous". La question devient la suivante : que reste-t-il après la disparition d'un fondement absolu de l'ordre socio-politique ? Cette disparition est-elle de même nature que celle d'un fondement absolu de nos connaissances ? Comment penser dès lors une société et son ordre ? Quelle société vouloir ? Peut-on encore vouloir ? Que faire ?
P.A Taguieff. "La force du préjugé" Essai sur le racisme et ses doubles
Ce qui se dessine, dans cette brusque explosion du consensus fragile mais qui tenait tant bien que mal la société civile américaine ensemble, c'est l'exacerbation sur un mode paranoïaque de la binarité qui organise le rapport de la pensée nord-américaine à ses objets.
Le mythe et les poncifs idéologisés qui le soutiennent se sont ou sont entrain de s'effondrer. Or, cette nation purgée des figures de ce qui la fédère dans l'imaginaire n'existe plus en tant que telle.
Il peut être important à cet égard de faire référence à la nature de l'influence initiale de la Nouvelle-Angleterre sur les principes qui ont permis la fédération d'états auparavant séparés. Pour Tocqueville, c'est avant tout autour d'une idée, suffisamment large pour créer un substrat de référence commune à tous que les ""puritains émigrants" de Nouvelle Angleterre se sont tout d'abord rassemblés et c'est la souplesse généralisable et adaptative de cette abstraction qui a permis sa propagation aux autres états.*
L'assemblage des diverses "communautés" qui la constituent dans une unité nationale autour des idéaux traînés bon an mal an depuis sa mise bas, centrés sur les institutions qui la portent et sur l'aspect sacralisé de sa constitution permettaient à chacun de s'accrocher aux fantasmes d'égalité possible, de succès matériel envisageable, et plus encore de prendre à son compte à titre individuel un peu de l'image d'exceptionnalisme tout-puissant renvoyée au monde.
Ceci s'accompagne en sous-main d'une forme d'"autistisation" qui s'est exacerbée après la victoire de la Deuxième guerre mondiale, et de clôture sur soi qui n'envisagerait le monde qu'au travers des filtres normatifs et calibrants de sa "grandeur".
Grandeur qui, même si elle n'est pas évoquée en tant que telle comme réalité à poursuivre, rétablir ou restituer sur un plan national, est présente dans les représentations collectives à chaque instant de la vie des citoyens américains.
La place imaginaire occupée par cet extérieur, représenté, si il n'est pas totalement aféodé, comme dangereux, destructeur, à civiliser, à occuper et changeant régulièrement d'identité au gré des tensions internationales et des ruptures économiques, caractérise, incarne l'autre qui par sa présence menaçant l'intégrité, a la fonction de rassembler les disparités, les écarts, les destinées d'injustice et les errements du politique.
Cette parole coup d'arrêt promulguée sur la scène internationale comme définitive et incontournable, est principalement véhiculée par les représentants du mythe originel de la réussite. Statistiquement et historiquement blancs.
Mais ce discours qu'ils portent avec eux et font perdurer depuis des générations est dans ses origines et ses fonctions celui de cette nation en tant que telle et en tant qu'une, ses prémisses, le mythe de ses origines.
Une fois ce cadre de référence détruit, même symboliquement, ce qui reste en jeu ce sont les pôles de cette dualité de structure : haine amour, bien, mal, c'est à dire la nécessité de chacun de se faire ou de revendiquer une place dans un des "camps" d'une appartenance qui s'est brutalement privée de toute enveloppe contenante.
Avec cette "radicalisation" des postures face aux différences des attitudes et du discours, se joue la liquidation du tiers supposé porteur du mal et donc la nécessité, vitale, de le retrouver, de le redéfinir au sein de la masse hétérogène et habitée des diverses rancœurs induites à tous les niveaux de la société civile par l'ouverture du discours victimaire enrobant l'esprit du temps.
Hors tout face à face conduit sans tiers, donc sans cette protection et cet arbitrage, fût-il celui du mythe national rassembleur ou celui d'un ennemi extérieur met en danger l'intégrité de ce mythe qui seul permet à des positions, des histoires totalement disparates de se lier autour de la projection d'une identité partagée sinon commune.
Une rupture de la validité symbolique de ce contenant, et on peut la retrouver entre autres dans les nombreuses manifestations de ce morcellement du contenu mis en acte dans les revendications de la création d'un hymne noir laisse ces entités dans le cloaque du Réel sans issue et fait courir le risque à ces groupes se regardant comme ennemis dans un miroir captateur de ne pouvoir que se détruire pour continuer d'exister.
Il va de soi que certaines institutions (étymologie : qui tient ensemble) sont supposées garantir une sorte de protection contre cette situation mortifère, mais elles aussi sont elles aussi emportées par l'imaginaire du discours de l'impossible partage et celui-ci ne peut que déboucher sur la destruction de l'autre quand les diverses instances internes, politiques ; c'est, après tout, prioritairement à ça que sert le politique, à prévenir les divers groupes constituant une nation de s'entre-tuer, médiatiques ; dont on a pu voir la lente descente aux enfers de la "post-vérité" dans la recherche désespérée d'outils de régulation et de normalisation des discours et le partisanisme clos sur lui-même, accompagnés de la disparition complète d'un lieu juridique et moral du compte à rendre même lorsque la contamination idéologique s'est montrée sous son vrai visage de manipulation d'opinion, ne peuvent plus jouer leur rôle.
On ajoutera que les modèles d'identification offerts par les véhicules télévisuels de tous bords, ségrégants sans nuance et d'une façon obsessionnelle, comme constituant même des fondements de la nation, le bon et le méchant, ajoutés à la passion pour la dureté du métal des armes à feu incrustée dans l'imaginaire du corps et martelant leur nécessité en montrant la mort comme un moment rapide à traverser, simple à oublier et sans agonie ne peuvent pas contribuer à apaiser les réjections.
Les jours à venir seront particuliers. EG
* Référence à Gabriel Tarde et à son travail sur l'imitation. Mode. coutume "Les lois de l'imitation"
"Il nous semble qu'il faut bien aussi considérer ces individus supra-individuels que sont les différentes sphères d'appartenance (lignées, peuples-nations, ethnies, races mêmes toute communauté mi-réelle mi-fictive, dotée, au moins virtuellement, d'une auto-représentation différentielle, c'est à dire d'une identité collective, d'un "nous". La question devient la suivante : que reste-t-il après la disparition d'un fondement absolu de l'ordre socio-politique ? Cette disparition est-elle de même nature que celle d'un fondement absolu de nos connaissances ? Comment penser dès lors une société et son ordre ? Quelle société vouloir ? Peut-on encore vouloir ? Que faire ?
P.A Taguieff. "La force du préjugé" Essai sur le racisme et ses doubles
Ce qui se dessine, dans cette brusque explosion du consensus fragile mais qui tenait tant bien que mal la société civile américaine ensemble, c'est l'exacerbation sur un mode paranoïaque de la binarité qui organise le rapport de la pensée nord-américaine à ses objets.
Le mythe et les poncifs idéologisés qui le soutiennent se sont ou sont entrain de s'effondrer. Or, cette nation purgée des figures de ce qui la fédère dans l'imaginaire n'existe plus en tant que telle.
Il peut être important à cet égard de faire référence à la nature de l'influence initiale de la Nouvelle-Angleterre sur les principes qui ont permis la fédération d'états auparavant séparés. Pour Tocqueville, c'est avant tout autour d'une idée, suffisamment large pour créer un substrat de référence commune à tous que les ""puritains émigrants" de Nouvelle Angleterre se sont tout d'abord rassemblés et c'est la souplesse généralisable et adaptative de cette abstraction qui a permis sa propagation aux autres états.*
L'assemblage des diverses "communautés" qui la constituent dans une unité nationale autour des idéaux traînés bon an mal an depuis sa mise bas, centrés sur les institutions qui la portent et sur l'aspect sacralisé de sa constitution permettaient à chacun de s'accrocher aux fantasmes d'égalité possible, de succès matériel envisageable, et plus encore de prendre à son compte à titre individuel un peu de l'image d'exceptionnalisme tout-puissant renvoyée au monde.
Ceci s'accompagne en sous-main d'une forme d'"autistisation" qui s'est exacerbée après la victoire de la Deuxième guerre mondiale, et de clôture sur soi qui n'envisagerait le monde qu'au travers des filtres normatifs et calibrants de sa "grandeur".
Grandeur qui, même si elle n'est pas évoquée en tant que telle comme réalité à poursuivre, rétablir ou restituer sur un plan national, est présente dans les représentations collectives à chaque instant de la vie des citoyens américains.
La place imaginaire occupée par cet extérieur, représenté, si il n'est pas totalement aféodé, comme dangereux, destructeur, à civiliser, à occuper et changeant régulièrement d'identité au gré des tensions internationales et des ruptures économiques, caractérise, incarne l'autre qui par sa présence menaçant l'intégrité, a la fonction de rassembler les disparités, les écarts, les destinées d'injustice et les errements du politique.
Cette parole coup d'arrêt promulguée sur la scène internationale comme définitive et incontournable, est principalement véhiculée par les représentants du mythe originel de la réussite. Statistiquement et historiquement blancs.
Mais ce discours qu'ils portent avec eux et font perdurer depuis des générations est dans ses origines et ses fonctions celui de cette nation en tant que telle et en tant qu'une, ses prémisses, le mythe de ses origines.
Une fois ce cadre de référence détruit, même symboliquement, ce qui reste en jeu ce sont les pôles de cette dualité de structure : haine amour, bien, mal, c'est à dire la nécessité de chacun de se faire ou de revendiquer une place dans un des "camps" d'une appartenance qui s'est brutalement privée de toute enveloppe contenante.
Avec cette "radicalisation" des postures face aux différences des attitudes et du discours, se joue la liquidation du tiers supposé porteur du mal et donc la nécessité, vitale, de le retrouver, de le redéfinir au sein de la masse hétérogène et habitée des diverses rancœurs induites à tous les niveaux de la société civile par l'ouverture du discours victimaire enrobant l'esprit du temps.
Hors tout face à face conduit sans tiers, donc sans cette protection et cet arbitrage, fût-il celui du mythe national rassembleur ou celui d'un ennemi extérieur met en danger l'intégrité de ce mythe qui seul permet à des positions, des histoires totalement disparates de se lier autour de la projection d'une identité partagée sinon commune.
Une rupture de la validité symbolique de ce contenant, et on peut la retrouver entre autres dans les nombreuses manifestations de ce morcellement du contenu mis en acte dans les revendications de la création d'un hymne noir laisse ces entités dans le cloaque du Réel sans issue et fait courir le risque à ces groupes se regardant comme ennemis dans un miroir captateur de ne pouvoir que se détruire pour continuer d'exister.
Il va de soi que certaines institutions (étymologie : qui tient ensemble) sont supposées garantir une sorte de protection contre cette situation mortifère, mais elles aussi sont elles aussi emportées par l'imaginaire du discours de l'impossible partage et celui-ci ne peut que déboucher sur la destruction de l'autre quand les diverses instances internes, politiques ; c'est, après tout, prioritairement à ça que sert le politique, à prévenir les divers groupes constituant une nation de s'entre-tuer, médiatiques ; dont on a pu voir la lente descente aux enfers de la "post-vérité" dans la recherche désespérée d'outils de régulation et de normalisation des discours et le partisanisme clos sur lui-même, accompagnés de la disparition complète d'un lieu juridique et moral du compte à rendre même lorsque la contamination idéologique s'est montrée sous son vrai visage de manipulation d'opinion, ne peuvent plus jouer leur rôle.
On ajoutera que les modèles d'identification offerts par les véhicules télévisuels de tous bords, ségrégants sans nuance et d'une façon obsessionnelle, comme constituant même des fondements de la nation, le bon et le méchant, ajoutés à la passion pour la dureté du métal des armes à feu incrustée dans l'imaginaire du corps et martelant leur nécessité en montrant la mort comme un moment rapide à traverser, simple à oublier et sans agonie ne peuvent pas contribuer à apaiser les réjections.
Les jours à venir seront particuliers. EG
* Référence à Gabriel Tarde et à son travail sur l'imitation. Mode. coutume "Les lois de l'imitation"