9.19.2020

Rencontre d'un autre type.

 Guebert est Haïtien, arrivé depuis trois ans en Martinique. Il est l'aîné d'une famille de huit enfants, six garçons et deux filles, il a une vingtaine d'années et m'a été présenté quand je cherchais quelqu'un pour me donner comme on dit "un coup de main" final pour le déménagement.
Et là, dans cette cohabitation sous plus de 30° Celsius, assez coûteuse en sueur et en risques de tendinites, au milieu des cartons et des sacs poubelle pleins s'est ouverte une expérience, toujours sans prix : la découverte de "quelqu'un", c'est à dire du ferment d'une rencontre qui élimine sans merci toutes les manifestations possibles de tous les préjugés, peut-être d'ailleurs de part et d'autre.
Nous avons "organisé" les restes de ce chantier de la disparition.
C'est aussi quelque chose de gratifiant, quand tout s'enchaîne avec efficacité, dans une collaboration créative d'économie des mouvements et des brassages d'air.
Il travaille avec calme et rigueur, en silence.
Et c'est une des choses que peut-être j'apprécie le plus dans les temps de présence active d'un "autre" quand chacun se concentre sur sa tâche, la présence de l'effort suspendue dans l'air, sa préciosité.
Tout est organisé, ses gants de chantier, son sac prêt, le moment de sa pause avec un plat préparé par lui-même dans une boîte alimentaire, l'eau fraîche gardée dans une poche isotherme.
Il sait ce qu'il veut, est prêt à donner de sa personne pour l'atteindre.
Nous avons beaucoup parlé, il était complètement étonné par le fait que je vive seule et j'ai dû argumenter ardemment pour le convaincre des bienfaits de ce libre choix.
Il vit seul aussi. Pas d'alcool, pas de tabac ni de drogue mais pas par obligation religieuse, il va de soi que quand il s'agit de partager des moments avec des garçons et des filles et de faire des rencontres, ce choix de vie ne lui facilite pas la socialisation. Il n'a pas encore de véhicule, ce qui ici rend tout très compliqué mais il s'est parfaitement adapté et a réussi à trouver assez régulièrement du boulot.
Il ne savait pas ce que le mot "fric" voulait dire.
Je ne parle pas créole, donc ça ajuste tous azimuts.
Je pense que ce qui s'est ainsi petit à petit créé, c'est un terrain commun d'estime réciproque, malgré tout ce qui est supposé devoir nous séparer, le nombre qui paraît rédhibitoire de nos différences, nos histoires aux antipodes les unes des autres, nos origines, notre culture, notre accent, notre couleur, notre âge, nos destins passés et à venir.
Dans tous les croisements que permet l'existence, je suis décidément convaincue qu'il est préférable de toujours privilégier "peu mais bon", cherchant par un sain principe à effleurer l'excellence, dans les rencontres comme dans tout le reste. EG