On n'écrit, y compris sous la pression infligée par l'inspiration, que sur ce qui "turlupine"... Turlupiner est un mot créé par quelqu' individu obscur avec ce qu'il avait sous la main, qui a, dans une sorte d'éclair, foudroyé par ce joli verbe notre impuissance face à la réalité en l'enrobant. Turlupiner, entre la brûlure d'estomac et l'exaspération. La préoccupation et le souci.
Il y a eu de très nombreuses occasions où ce turlupinage s'est imposé face à ce qui est du ressort des bases vitales : les étayages logiques qui aménent à discerner dans tout le chaos les ramifications du vrai, même éphémère, en les attachant à quelque chose de rationnel, en les incluant dans une forme de logique qui outrepasse les "points de vue", les "opinions", les "croyances" dans leurs soubassements émotionnels et leurs puits de subjectivité, pour en faire des denrées partageables, extérieures, non soumises aux tourments des affects, un peu soutenues par un fond d'air ayant frôlé la démarche scientifique. Disons, quelque chose qui semblerait solide un peu, mais pas rigide pour autant.
C'est au coeur de ces trous dans la logique que le turlupinage s'est niché. Jusqu'à m'obliger à me demander "Mais bon sang, qui "déconne" ?"
Un des points particulièrement ciblé par ce qui me semble, peut-être à tort, un défaut majeur dans la cuirasse de la logique contemporaine, est l'absence, dans les discours vegans, environnementalistes militants et autres progressistes, d'une sorte de clause ultime, c'est à dire le déni, appelons ça ainsi parce qu'il semble qu'on en soit là, de la conséquence dernière de leurs dogmes touchant le vivant.
Le vivant, concept déjà assez flou pour ne pas dire fumeux, se voit déguisé au sein du spécisme et du véganisme et de leurs radicelles plantées dans l'opinion publique se voulant éclairée et compatissante, d'une aura morale, d'une projection émotionnelle sur des phénomènes touchant ce même "vivant" qui nous sont, à nous humains, extérieurs et fondamentalement inaccessibles. Est-on plus en phase avec Gaïa quand on nage en tenant un dauphin ou une méduse sous le bras ? Ce monde-là, le monde animal, n'a-t-il pas par dessus tout besoin de notre absence plutôt que de la gêne induite par notre omniprésence bien intentionnée ?
Le rapport à la mort de ce qui nous fait vivre, animaux, végétaux, n'est pas un rapport à notre destructivité latente mais un rapport à notre survie, qu'elle soit physiologique ou symbolique. Il n'existe aucune forme de vie qui ne se nourrisse, sous un aspect de prédation quelconque, d'espèces l'entourant et se nourrissant elles-mêmes d'autres espèces, ceci à l'infini. On peut même imaginer ce schéma présent jusque dans les particules les plus invisibles.
Les esprits contemporains peut-être en mal de cause humanitaire digne d'être défendue après le trauma total qu'a été la révélation de ce que l'homme pouvait faire à l'homme, méticuleusement, scientifiquement, pour l'éliminer sans même un objectif matériel d'exploitation ou un gain collectif à en attendre, se sont plongés à grand coup d'ignorance et d'anthropomorphisme incurable, dans l'adulation des bêtes. Que cette adulation ait pointé en substance une haine de soi en tant qu'espèce plus destructive que les pires programmes d'extermination a été englouti dans la fange des "bons sentiments", de ce que chaque américain, initiateur de toute philosophie contemporaine globale de la conscience et du devenir humain, professe d'empathie et de compassion, dans le nouvel appareil à penser du bréviaire des bonnes conduites normalisées.
Il faudra donc respecter et protéger toute créature vivante, et la désaliéner de notre présence et de son exploitation par l'espèce humaine, adieu veaux, vaches, cochons, poulets sous les auspices de la sauvegarde et du confort animal.
Et donc, c'est à ce point du raisonnement qu'intervient le turlupinage : mise à part la bêtise absolue des diarrhées émotionnelles à la simple idée qu'un veau soit retiré à sa "maman" et la totale incurie face aux pratiques des éleveurs (des vrais éleveurs s'entend mais c'est une autre question), ce qui n'est jamais évoqué, c'est que la logique de protection des espèces contre notre cruauté est aussi une logique de leur disparition. Le bout de la chaîne de cette protection, en effet, c'est l'élimination pour cause d'amour, de leur raison d'être en tant qu'animaux domestiques, présents à nos cotés depuis des millénaires et n'existant uniquement qu'à nos côtés.
Plus de viande de cochon, c'est à moyen terme plus de cochon du tout.
Plus de lait ou de beurre, c'est à moyen terme plus de vaches dans les champs.
Plus de chiens, plus de poules et j'en passe évidemment.
On va retrouver le même schéma proche de ce déni logique dans cette anecdote : le maire de Bordeaux, petit homme vert exhibant en quelques semaines tous les vices du Grand commandeur, interdit le sapin de Noël dans la mairie.
Son argument pour ce faire est que le sapin est un être vivant.
On passera sur les implications de cette décision progressiste et les effets de forçage délétères de celle-ci sur le lien social et la transmission.
Les commentaires de cet événement sur un post nord-américain, j'insiste sur ce détail parce que ce qui a été importé, pire, perfusé comme volonté de changement et comme forme à lui donner depuis une dizaine d'années est un pur produit d'une façon de penser, de se penser nord-américaine, qui nous a amputé de toute posture critique, balayant des siècles de travail, de réflexions, de modèles philosophiques ne pouvant être produits que par des penseurs et des penseuses et non par un système, ces commentaires donc, sont un soutien au choix de ce maire parce que, je cite "C'est scandaleux de couper des milliers de sapins en bonne santé ".
Bien sûr.
C'est aussi scandaleux de couper des salades, ou d'arracher des carottes, promises à un destin grandiose sans notre intervention.
Dans un contexte de culture, au sens maraîcher du terme, ou d'élevage, encore, de véritable élevage, les plantes et animaux n'ont d'existence que dans le contexte de leur finalité.
Hors de leur coupe, pas de sapin, du tout.
Et c'est là où la logique achoppe : Que faire de cette impasse, à part la nier et se dire choqué et solidaire de leur tige à la moindre cueillette d'un bouquet de tulipes ? La larmoyance anthropocentriste, même inversée sous forme d'une sorte de malédiction de l'Homme parce qu'il est Homme et de la quasi déification de tout ce qu'il n'est pas, surtout quand l'aporie incluse de son militantisme s'ignore est-elle bonne conseillère ?
On peut parfaitement se hisser contre la culture de ces arbres voués à être immolés pour notre plaisir et pour nos rituels, pourquoi pas, toute forme de production de masse a quelque chose de mortifère en soi. On peut aussi repenser les rituels, point plus délicat même si il est présent dans toute révolution comme une façon d'éradiquer la "réaction" et de créer l'homme nouveau tant attendu, avec le prix colossal à payer et l'inévitable part de coercition qu'implique tout changement collectif imposé des moeurs, mais on ne peut pas argumenter cet interdit en disant que c'est pour protéger la "vie", animale ou végétale, qui n'a d'existence que dans le contexte de sa disparition comme tout produit vivant de consommation.EG