L'emprise
Une des particularités du système dans lequel nous survivons est la main
mise, comme dans les régimes les plus totalitaires, sur l'appareil de pensée
lui-même. Mais ce qui le caractérise plus encore, c'est que l'initiation des
modes de pensées et des valeurs qui à la fois l'organisent et le provoquent
reste complètement obscure. Les grands courants idéologiques ou éthiques qui se
sont fait intégrer presque partout sur la planète, dans cette frénésie de
l'empire global des dernières décennies, n'ont jamais été revendiqués comme
"locaux", typés, historiques, et comme originaire d'une nation
spécifique, et donc, évidemment, culturels. Ils se sont imposés, et ont été
ingurgités en tant que savoir objectif, approche scientifique, expertise ou
révolution, conclusion rationnelle de problématiques dont la complexité, la
diversité de modèles, l'histoire, n'a de corps que dans les déboires de chaque
nation, de chaque culture, avec sa propre histoire et le rapport à loi qu'elle
implique. Des pans entiers de représentations touchant la vision des écarts à
la norme, le rapport au corps, à la sexualité et à la santé, le rapport au
"bien-être", à l'altérité, aux valeurs du bien et du mal, et
jusqu'aux volontés d'investigation des ressorts de cette même pensée et leur
catégorisation sont modélisés dans un pays particulier qui, parce que c'est
dans sa genèse même d'être celui qui guide et sait, d'être le lieu de
l'exceptionnalisme et de la maîtrise face au monde entier, exporte pour une
masse spongieuse toutes ses productions et son langage dans une presque
complète ignorance des récipiendaires qui croient naïvement avoir enfin pu
toucher la " vérité" en s'étant accaparé tel ou tel concept ou tel ou
tel mode de pensées.
La véritable violence, le véritable danger n'est pas tant dans les
contenus de ces courants mais dans le fait que l'aliénation au lieu de leur
création et à leur origine soit occultée, le bien fondé de celle-ci absorbé
comme une évidence. Nous sommes passés d'une idéologie du TINA, de l'exposé,
même si celle-ci était réprimée ou interdite, d'une possibilité de débat, d'opposition, à
l'occultation complète du concept d'alternative lui-même. La réalité s'est
incarnée dans l'esprit de masse et dans les courants de pensée qu'il génère,
non comme des formes de représentations face auxquelles on puisse se poser mais
comme étant l'individu lui-même qui les professe comme siens. Comme les
composants de l'individualité dans laquelle il croit habiter mais où il a été
déplacé par l'exil culturel.
En meute
Contre le néo-féminisme par Annie Le Brun
Féminisme et transactivisme, même combat ? par Maria Paz Rodríguez Diéguez dans " Lacan Quotidien"
Les temps sont à la nécessité de la torsion mentale : pourquoi ?
D'abord "mentale" plus que "intellectuelle" car l'imposition structurelle d'une culpabilisation acceptée collectivement, l'effet de meute si chéri dans le contexte des médias sociaux, outil permettant de forger la résistance des divers mouvements, appelons-les "progressistes", ne génére pas une stimulation argumentative, c'est à dire du ressort d'une posture mouvante et dialectique, elle induit au coeur même de la vie psychique un profond malaise lié à la survie, puisqu'elle a le pouvoir d'exclure des cadres de la bienpensance, or la bienpensance contemporaine, ce qui doit, sous peine d'éradication d'une sorte d'appartenance nécessaire pour se tenir ancré dans les temps en cours, touche non à une dimension logique, rationnelle de l'approche de la réalité, mais à son contre-pied subjectif.
Puis, face à cet effet de meute évoqué plus haut, et au risque de ne pas pouvoir ou surtout vouloir aboyer et dévorer cru le sacrifié dans une suprême jouissance collective rituelle, ne demeure qu'une seule place, qui ne peut être une posture, c'est à dire le fruit d'un choix travaillé, négocié et donc potentiellement évolutif et modifiable, mais une situation "contre" les diverses curées, destinant donc à se faire plus ou moins symboliquement bouffer.
C'est donc autour d'une sorte "d'appartenance" que le choix d'une posture critique se change en charge plus émotionnelle, en sensation, ou crainte, ou acceptation d'un "rejet" imaginaire, hors du flux, hors de la norme acceptable, et donc hors non peut-être du temps lui-même mais de l'Esprit du temps.
Ce rejet qui est, comme Staline les avaient nommés pour les éliminer dans un grand mouvement idéologique et national de désinfection, le propre des "personnes du passé" donne une dimension quasi génétique à l'erreur, autrement dit la fait passer du côté des choses qui ne se discutent pas.
Eradiquer le mal pensant, c'est avant tout lui faire savoir comme il ou elle est "dehors", "out", du processus historique, comme si, de l'histoire, on pouvait, collés au présent comme on l'est, en connaître quelque chose avant que le temps ait fait son oeuvre sur son propre esprit.
Atténuant cette impression quasiment douloureuse, cette zone inflammatoire générée par le frottement quotidien de la bien pensance orthodoxe au refus de s'aliéner, émergent avec la force spécifique des liens internationaux d'individus eux-aussi, à divers degrés et sous diverses formes, confrontés à ce glissement, vraisemblablement inéluctable, dans les piliers absolus de la démocratie, font entendre quelques voix qui elles aussi disent, tout simplement, que ça ne marche pas, et pourquoi, que quelque chose, à définir, à travailler en s'impliquant hors des catégorisations qui enfument l'esprit en tentant de rassurer les anciennes balises, est profondément fallacieux, dangereux et que l'emprise que ce quelque chose cherche à créer sur le comment l'on pense est le point le plus toxique dans l'aveuglement qu'il engendre même s'il permet avec passion de maintenir l'illusion que la "bonne" pensée est celle qui vous maintient chaudement ancré dans votre époque.
EG