1.08.2021

Délaver l'offense



Délaver l'offense

Les réalisations de Netflix donnent à voir en gros plan l'Esprit du temps et, disons-le, ses délires. Après la fiction "La Chronique de Bridgerton", mettant en scène autour d'une reine d'Angleterre noire, un héros et des tonnes de courtisans parties de la noblesse anglaise, noirs également, voici maintenant un Arsène Lupin, noir lui aussi. Le paradoxe insoutenable, sauf peut-être pour ceux et celles qui se font de la littérature et de l'histoire une vision adaptable aux grès des tendances moralo-politiques imposées par la pensée de Mode, c'est que l'idée pour contrer le "racisme" de bombarder dans tous les rôles titres des personnes dites de couleur pour atteindre le quota d'inclusion et ainsi faire preuve d'un esprit ouvertement progressiste, n'empêche absolument pas la présence d'un fond culturel éminemment blanc utilisé pour ce faire. Blanc, voulant simplement dire ici, originé dans la culture occidentale, l'histoire occidentale.

Mettre sur un rôle comme celui de James Bond une femme noire est supposé prouver quoi ? La fiction demeurera éminemment occidentale, les mythes s'ancrant sur les valeurs, les rapports de force en jeu également et le fond historique de la dominance raciale, élément constitutif mais pas exclusif des rapports de forces historiques généraux, n'en sera certainement pas lavé, ou pardonné, ou oublié ou, comme certains mouvements le revendiquent dans l'écrasement du symbolique propre à ces temps en limitant le signifiant à sa valeur marchande, racheté, pour autant.

Si le postcolonialisme et son idéologie incessamment revancharde et plaintive dans toutes ses apories logiques a si facilement trouvé à s'engouffrer dans les choix de production de médias de masse aussi populaires c'est, qu'au fond, la forme qui lui a été donnée ne mange pas vraiment de pain et que, bien sûr il engrosse correctement l'audimat.

On utilise simplement l'effet du nombre visible, l'adhésion non critique aux standards de la censure générale, la capacité des spectateurs à ne jamais vérifier de quoi on parle et à se laisser éblouir par les effets de manche des bals reproduits à l'envi pour se donner ce qui est supposé être "une bonne conscience" car certes, il serait plus délicat, plus compliqué et vraisemblablement moins lucratif, de créer VRAIMENT, sans devoir bêtement aller absorber puis recracher ce qui existe déjà des modèles ou références typiquement occidentaux, des fictions qui évoquent des histoires de "noirs", avec l'approche de leurs rapports spécifiques et ici métaphorisée au niveau d'une narration transmissible, de leur propre histoire, sous-entendu, d'ailleurs, dans un des autres biais pervers de la représentation, qu'il n'y en ait qu'une.

N'est-ce pas une forme déguisée, costumée, d'insulte suprême que de penser ne pouvoir mettre en scène des acteurs noirs, utilisés ici non pour leur talent d'acteur mais, comme pour toute inclusion racialisée, pour la seule visibilité de leur peau, qu'en leur faisant endosser des caricatures d'archétypes blancs pour leur permettre de prendre une place due par les ressorts d'on ne sait quelle culpabilité collective plutôt que méritée et élaborée dans sa complexité par cette même collectivité ?

Penser qu'en transformant Arséne Lupin en noir tout en lui conservant le même projet fictionnel peut se suffire est de la démagogie à l'état pur, concept qu'il serait bon de remplacer par quelque chose de plus précis permettant de caractériser non un trait du discours politico-médiatique mais l'ensemble de ce qui caractérise la fabrique des mentalités, avec la violence sous-jacente que toute démagogie implique et ce, peut-être plus à l'égard des "victimes" supposées, à travers le déni de la violence latente s'exerçant dans ce qu'elle tenterait, d'une façon si pernicieuse, de racheter.

Mais comme n'importe quel processus de conscience politique en jeu dans ces temps de l'Esprit de Mode, la réelle force historique d'un questionnement sur les responsabilités, sur la façon d'ingérer, de métaboliser aussi les er( hor)reurs de notre histoire, après tout simplement marques de la violence structurelle à tout procès civilisationnel et partie des caractéristiques prédatrices de la gent humaine, est ici complètement délavée, tordue, rendue donc innocente au sens non de dédouanement de la supposée culpabilité mais d'innocuité totale, d'ingestion d'un placebo, par un remaniement des enjeux superficiel et dénaturé.

On peut par exemple, à pousser la dimension absurde de cette vision de "l'égalité et de l'expiation par le chiffre", imaginer un Davy Crockett noir remplaçant John Wayne dans un remake progressiste d'Alamo ou, en ce qui concerne notre propre histoire, imaginer que tourner une fiction où les chefs de l'OAS seraient interprétés par des Algériens pourrait nous amener on ne sait quelle rédemption bienvenue et apaiser les tensions insupportables de l'exercice des pouvoirs et de la différence.

Un point plus alarmant peut-être est le silence complet sur ce point, la quasi omerta des médias critiques ayant pour fonction de situer ce genre de production : description du côté soap, laudation des décors et des costumes, louanges portant sur l'intrigue etc. Mais rien, du tout, sur cette absorption par l'image des questions sur l'altérité si mal posées par les  postures racialistes. Comme si de rien n'était, donnant au malade (imaginaire ?) sa potion sans lui préciser ce qu'elle est supposée guérir. Distribution devenue donc évidente, enkystée dans sa propre logique et dans le cercle fermé des bienséances idéologiques jusqu'à ne plus pouvoir même formuler ce qui serait nécessaire pour justifier, ou même expliquer le bien fondé de tels choix.

Cela est simplement la marque d'une forme de lâcheté propre au capitalisme tardif : son incapacité, son impuissance à "assumer", verbe devenu oh combien si médiatique qu'il en a perdu toute substance comme tout ce qui se massifie par force.

"Assumer" c'est ne pas tenter de croire que les réalités de ce que l'homme de TOUT TEMPS, peut faire à l'homme puisse avec un peu de poudre de bambisme, être évacué ou, comme l'ont été tant d'effigies des colonisateurs, qu'il suffit de les ôter des regards ou, ici, de les inclure sur un écran, pour que l'histoire des bourreaux et des victimes reprenne un cours décent et supportable pour les consciences collectives devenues hypersensibles mais restées toujours un peu simplettes.

"Assumer" c'est savoir, ce, hors du champ ponctuel de tel ou tel événement historique, aussi destructeur qu'il ait pu être, que c'est notre destructivité même, la force de la pulsion de mort agissant en chacun de nous, la force des implications de TOUT rapport au pouvoir, ce quel que soit le sexe, la couleur de peau évidemment et le moment de l'histoire, qui est à prendre en compte, comme une forme de reconnaissance universelle de notre biais structurel, ontogénique, de notre appétit illimité pour la puissance et du travail sous-jacent mais constant de notre fascination pour la mort qui nous minent et nous animent en tant qu'espèce.EG

Décapités nous sommes.