La science des fidèles : Il s'est ouvert une faille. Elle a englouti ce qu'on nommait jadis "la vérité".
Avec elle s'est précipité ce qui nous tenait tous plus ou moins ensemble, accrochés les poings serrés à nos petits savoirs. Et peut-être forcés un peu du côté de l'humilité : ce qu'on savait deviendrait ce qu'on imaginait dans quelques temps, inéluctablement relégué par quelque modèle nouveau donnant son pli à la réalité. On savait ça aussi et d'une certaine façon ça nous donnait une sorte de légèreté dans la certitude, ça nous réchauffait au doute et nous permettait bon an mal an de faire cause un peu commune.
Mais soudain, "la vérité" n'a plus du tout eu d'importance. Ce qui s'est mis à compter c'est ce qu'on voulait croire. On s'est tous mis à croire avec la passion qui protège des désespérances. Un vieux vice qui réapparaissait avec constance, les souffles de la possession religieuse nous enveloppant au nom des nouveaux dieux. La bouche des officiants cracha des anathèmes, ordonna des flagellations, fit les listes des postures redemptrices et condamna à tour de bras en brandissant le spectre des peurs ataviques.
On ne s'était pas bien habitués à notre finitude, et tout effort pour la repousser, pour brandir face à son orgueil un peu du nôtre déclenchait des hurlement de jouissances et des soupirs de soulagement.
Notre fin inéluctable s'était soudainement imposée à tous, son masque hideux nous rappellant que la fête s'achèverait bientôt.
On ne voyait pas vraiment les morts. On ne les sentait pas souvent nous quitter dans d'atroces souffrances mais leur nombre était egrainé chaque minute à nos oreilles sur le qui-vive par les sources sûres.Donc on concluait à l'hécatombe totale puisque ceux qui les comptaient savaient. On croyait ceux qui savaient.
On croyait du matin au soir, nos petits bréviaires statistiques entre les dents, jetant aux hérétiques les chiffres en pâture.
Eux-mêmes hissant d'autres chiffres prouvant autrement ce qui était devenu impossible à quantifier. On avancait tous dans un grand vide très bruyant et on se soumettait sans broncher aux bonnes paroles de nos chamanes et de nos druides, transmises avec zèle par leurs sbires à travers les vibrations des ondes.
Il se créa deux sectes. Incompatibles cela va sans dire et leur foi si invincible que l'échange sur leurs divers évangiles était hors de question. Le temps du débat était révolu. C'était la guerre.
Chacun avait pris la voie de la grâce. Il y avait simplement plusieurs chemins pour y accéder. Cette diversité était le seul point qui nous titillait comme une lance, éveillant nos vieilles envies de vengeance et de pogrom qu'on avait maintenues plutôt bien cachées jusque-là sous les portillons de nos nouvelles rectitudes.
On devait appliquer les préceptes du Grand dogme à la lettre. C'était la seule issue. Les frottements des pensées partagées de nos coreligionnaires contre nos corps fatigués nous semblaient doux et les autres, en face, qui mettaient en péril notre théologie se couvraient de fumée et de honte. On leur ferait la peau. Bientôt c'est sûr. Et l'objet même des dissensions finit par disparaître sous les bouffées de chaleur de la haine que ce projet éveillait soudain en nos âmes usées. EG