La place et le pouvoir d'influence d'une génération sont largement déterminés par l'imaginaire collectif contemporain autour de la "jeunesse".
L'Occident lui a, lors des dernières décennies et en grande partie sous des motifs mercantiles, attribué un rôle d'idéal, comme panacée et paradoxalement comme but à atteindre ou à préserver pour l'ensemble de sa population.
Elle y assume aussi des fonctions rédemptrices au regard des supposées exactions de ses prédécesseurs et, depuis quelques années, se voit porteuse d'une mission messianique quant aux lieux, aux formes et à la pensée du Bien dans un champ politique qui a réduit son spectre à la désignation des pécheurs et des purs.
On pourrait aussi évoquer le démantèlement du savoir hérité actif et présent au sein des familles et des groupes culturels restreints qui s'est dévalorisé comme mise en pratique éducative, fruit d'un lien tacite à la transmission, au bénéfice de supposés-savoirs d'experts martelant les erreurs et les bienfaits des méthodes éducatives en fonction des "découvertes" scientistes du jour.
Le terrain acquis offert par les générations précédentes a été ostracisé systématiquement sous couvert d'obsolescence et des comportements pouvant sembler évidents touchant tous les champs de l'éducation et de la place de l'enfant, tant au sein de sa famille que dans les institutions, se sont vus balayés du souffle du neuf et de la vérité scientifique enfin découverts.
Être parent est devenu un savoir à acquérir, des compétences à faire valoir sans cesse renouvelables et auréolées des dogmes précaires mais tout-puissants de l'expertise.
L'enfant, réduit à l'inflation du mythe a commencé à errer, en charge du traçage de sa propre destinée et détenteur d'un savoir souvent supposé inné sur son désir ou son identité "profonde".
Dans la tolérance requise, la plupart du temps laxisme caché et vide conceptuel sous des oripeaux libéraux, s'est posée en filigrane de plus en plus cruellement la question de sa place, balancé d'un bord à l'autre de l'espace et du temps, centre décentré des familles, tenu de se dessiner les limites d'un rôle dont il ne connaissait pas le texte.
Cachée sous la vague de ce libéralisme scientiste éducatif s'est profilée la norme imposée de sa santé mentale et des adéquations comportementales que ce monde adulte devenu glissant lui imposait sans plus lui expliquer comment l'atteindre.
Il est devenu un perroquet malade, enfoncé dans les fantasmes ou les vertiges de ce que ce monde attendait de lui sans le lui dire, laissé pour compte de son enfance, sous supervision permanente d'une perfection où seule la prestation adulte et ses effets sur lui étaient devenues évaluables.
Sous-couvert de son propre désir érigé en déjà-su mais secrètement insufflé par les effets de manche de ses tuteurs aliénés au discours changeant de l'esprit de mode, il a commencé à s'écouter savoir sans plus pouvoir considérer le travail et le temps nécessaires pour tout accès au monde et ne pouvant que dénier à la transmission son rôle fondateur dans la conquête du devenir.
Toutes les postures opposées à l'occupation de ce siège sur le trône de la toute-puissance, reconnue par paresse intellectuelle et morale par un monde adulte de jouisseurs peu à même de se coltiner l'inévitable défi castrateur de l'éducation, n'ont rencontré que son propre tribunal, dispensateur des lois et des amendements.
Dans ce marécage où les seules valeurs pérennes sur lesquelles s'appuyer étaient celles qu'il édictait lui-même, diagnostiqué,, traité et effrayé par l'obscurité des perspectives que n'éclairaient plus les lueurs des expériences précédentes, il est devenu tyran et victime, sage et néophyte, tout et rien.
Et comment pouvoir demander à ceux qui avaient en charge de l'ouvrir à la complexité du monde de lui rendre des comptes, réduits qu'ils sont à ne faire que le suivre...EG
Autre élément de réflexion : Le rapport à la découverte du monde impliqué dans toute forme d'apprentissage s'effectue aux USA dans un climat de crainte et de violence postulée qui ghettoise chaque famille entre les murs de sa "communauté" et construit imaginairement l'autre comme force dont il faut se protéger. "La surprotection de l'esprit américain".Greg Lukianoff, Jonathan Haidt