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Ce à quoi nous assistons à travers cette nouvelle crise d'hystérie collective globale pleine de passion et hurlant son bon droit, est une fois de plus la marque de l'infantilisation du champ politique occidental. On a vu progressivement se déplacer les aspects polémiques et argumentaires du discours politique, impliquant la mobilisation d'un espace critique au moins rationnel même si il peut être entaché des contre-offensives de la mauvaise foi, vers une subjectivation, une émotionalisation des positions étayées par des soubassements appartenant au domaine, pourtant si difficile à sérier, de l'amour et de la haine comme bien fondés des choix politiques. Les liens que ces choix effectuent avec la "réalité " sont de nature émotionnelle, c'est à dire justifiés par ce qui se laisse ressentir à l'égard de tel ou tel personnage, qu'on se donne le devoir d'aimer ou de détester en limitant sa légitimité à ce qu'il nous inspire en tant qu'être humain escorté de tous les fantasmes et les montages opérés sur ce ressenti par les manipulateurs d'opinion. Ceux-ci on comprit que, comme à l'adresse des enfants, l'intensité de la voix, le choix des descriptions terrifiantes suffisaient à créer le terreau pour des attachements négatifs, '"Il est méchant" ou positifs "il est gentil" et à les enraciner en tant que fait, en tant que référence ultime, c'est à dire porteurs de l'objectivité maximale puisque ressentie dans la "vérité du coeur" . On vote ou on soutient celui-ci "parce qu'il est beau", ou "parce qu'il est gentil avec les animaux" ou "parce qu'elle est une femme et que les femmes sont plus..." etc.
L'enveloppe semble suffire à déterminer les inclinations, et la dessinant, le fatras discursif des chantres médiatiques.
Si Zemmour a eu cette aura d'intellectuel c'est en partie parce qu'il a placé son discours à un autre niveau, c'est à dire non dans une relation de condescendance hiérarchique dirigée vers des masses immatures et à former mais dans une sorte de valorisation de la capacité de ces mêmes masses à vouloir entendre des développements, fallacieux ou non, mais qui valorisent leur réceptivité intellectuelle et leurs capacités d'entendement. Il a joué sur le "Parlons, je vous comprends" et non sur le "Écoutez-moi, je vais vous faire comprendre".
On peut faire également correspondre cette infantilisation des masses aux réactions sur la situation actuelle, où seul le "héros machiavélique" est l'instigateur désigné et est montré du doigt par les foules, méchant, tyran, malade, psychopathe etc. surface de projection de peurs et de désir de puissance, ceci sans aucune place pour le doute ou le besoin de temps nécessaire pour s'extraire de l'affect et passer aux étapes de l'entendement.
Se permettre un jugement sur Poutine prend la place d'une sorte de vérité sur les faits, les qualités qui lui sont attribuées justifient "en soi" les enchaînements d'évènements dans une forme de psychologisme causal assez aisé à maîtriser, puisqu'occultant, avec leur complexité et leur intrication, le pouvoir de leur inscription dans l'histoire. Une telle forme de "logique" permet de désigner aisément le maudit dans cette éternelle incompatibilité entre le bien et le mal, l'amour et la haine. Or la politique, et évidemment les facettes diplomatiques qui la caractérisent ne peuvent pas se situer dans cette binarité radicale, propre au champ mortifère de la guerre. La politique n'a pas à faire de choix entre le bien et le mal donnés comme des faits et non comme de simples valeurs assez arbitraires mais elle a à créer les conditions d'une cohabitation symbolique et réelle de ces deux entités imaginaires.
La politique est la science appliquée des compromis, lorsqu'elle manque à cette fonction, l'humain tombe dans le massacre, avec joie, bonne foi et passion, là où son "coeur", régi par ce qu'il imagine de l'amour, lui dit qu'il doit aller. EG