Le temps est superbe. Premiers narcisses. Vent frais léger et soleil bienveillant. Tout devrait concourir à un grand moment de contemplation et d'étonnement. Une des caractéristiques de cet endroit est la qualité de son silence, pas de rumeur de moteurs au loin ou très peu, peu de bruits humains et la possibilité, luxe rare, de pouvoir marcher plus d'une heure sans rencontrer quiconque, sauf parfois un chevreuil, ou un cochon noir ou d'autres bestioles à plusieurs pattes. Toutes les conditions réunies donc pour que la promenade soit une garantie d'air pur à inhaler et d'odeurs à glaner ici ou là.
Evidemment, aujourd'hui, la chienne et moi sommes perplexes. Des individus ont choisi de s'aérer comme nous et c'est chose si peu commune d'en croiser plus de quatre sur cinq kilomètres que nous sommes toutes deux perturbées et un peu frustrées. On peut les repérer de suffisamment loin dans le pays légèrement vallonné pour que je l'attache afin d'éviter tout risque de conduite socialement inappropriée.
Un trio avance au loin. Maman et deux enfants, les siens vraisemblablement. Je les observe. La chienne les observe et nous nous approchons lentement;. La mère roule en avant sur une bicyclette. Les enfants l'un derrière l'autre sur des trottinettes électriques, séparés d'environ deux mètres.
Et là. Stupeur. Consternation. Dans le lit de cette France rurale dite "profonde", là où les promiscuités peuvent être évitées sans aucune difficulté, où le niveau de pollution est quasiment nul, les trois promeneurs ont TOUS des masques.
Tous les bienfaits , esthétique et bucolique, de ce lieu s'évanouissent sous le poids brutal de la bêtise humaine.
Les mères sont devenues inquiètes et folles, si peu sûres d'elles et du monde autour d'elles qu'elles en ont perdu le moindre usage de leur raison. Zélées ou conditionnées ou effrayées, prises dans les rets de leurs certitudes gonflées aux endorphines magiques du consumérisme et aux leçons de lâcher-prise et de diététique. Elles roulent en Peugeot 1008 et viennent chercher très ponctuellement leur progéniture à l'école, lunettes de soleil sur la nez. Elles ne ralentissent jamais lorsqu'elles croisent un piéton marchant sur la bas côté. Elles ne lui disent pas bonjour non plus. Seul compte le cercle fermé de leur réussite à complaire.EG