On peut s'inquiéter pour la vérité.
Comme prise en compte des faits dans toutes leurs dimensions, c'est à dire leur contexte historique et leur ancrage dans les représentations mais aussi, plus grave peut-être comme absolue nécessité pour l'intégrité de la dignité humaine.
Pas dans une optique de vérité "déjà-là" mais comme la dynamique d'un processus, jamais vraiment bouclé, jamais éteint mais servant d'étayage à toute posture, politique ou morale. Il existe plusieurs obstacles à cette recherche et les lendemains de l'élection de Trump ayant évoqués une ère s'ouvrant de la "post truth" ne se sont pas trompés même si ils voulaient n'appliquer ce concept qu'à leur candidat mal aimé.
On peut imaginer que la vérité ne vient qu'après, qu'est-ce à dire ? Elle n'est pas impliquée au coeur des évènements toujours aux prises avec les actes manqués, les passions et les manipulations de tous ordres. Elle nécessite d'effectuer un retour et de prendre en compte dans sa totalité au maximum, tous les paramètres, ceux qui sont acceptés comme positifs et flatteurs et tous les autres. La vérité sort toujours des cendres du narcissisme, que celui-ci soit d'état ou lové dans le rapport de chacun à ce qu'il pense savoir. Dans notre temps où le matraquage médiatique s'est substitué à la légitimité des savoirs, les propos, leur soubassement contraint par les discours majoritaires se voient représenter l'individu même qui les utilise et les dispense pour créer sa représentation de la réalité comme une forme de possession, au sens de bien auquel il s'identifie et qui le désigne dans l'échelle des valeurs qu'il pense avoir faites siennes.
Cette vérité donc est entièrement confiée aux médias qu'il a choisis comme étant ses détenteurs et dont il reproduit les propos et les positions en se les appropriant.
Là où les choses deviennent compliquées, c'est qu'une fois ces positions, ou opinions, ancrées, il devient extrêmement difficile voire impossible de les renier sans se voir se renier soi-même et sans prendre conscience de la trahison imposée par les responsables de vos avis et conceptions.
Il faudrait que ces mêmes sources aient le devoir de dénoncer publiquement leurs propres préjugés, leur propre ignorance, leur propre incapacité à analyser tous les versants de cette réalité pour que le consommateur puisse revenir sur ses positions sans crouler sous la honte liée à l'erreur contenue dans sa vision du monde et ne pas se sentir lui-même reclus dans le "avoir tort " si gênant pour l'Ego.
Mais ça ne marche jamais comme ça. Les mensonges, même immenses distribués par les médias d'état ne sont soumis à aucun contrôle, à aucune loi supérieure et donc à aucun processus de régulation redevable d'objectivité et de justification de leurs propos. Il faudrait, pour ce faire, effectuer des retours en arrière et avoir dans les mandats mêmes des médias une obligation absolue et non dérogeable à l'honnêteté intellectuelle qui a pu être une de leurs prérogatives au moins idéale il y a très longtemps mais qui, avec l'intervention des intérêts marchands et des collusions entre les champs capitalistes privés et la chute du pouvoir de la chose publique n'a plus aucune réalité.
Prendre conscience qu'on a été berné par ce à qui ou à quoi on se réfère pour construire sa vision du monde est une souffrance, demande une forme de choc ou de travail sur soi extrêmement difficile d'autant que l'effondrement des liens critiques et logiques qui président à ce conditionnement à la fiction propagandique ne permet pas d'utiliser les outils de réflexion de sa mise en question.
Jusqu'à reléguer la vérité elle-même au rang des paramètres "négociables" et secondaires et à pouvoir imaginer que n'importe quel mensonge d'état peut passer, pris dans le fil du temps impossible à remonter pour démonter les arguments et chercher les sources.
La justice, lorsqu'elle n'est pas corrompue elle-même a cette fonction de recherche de la vérité au-delà des parti-pris. Elle implique ce "retour sur soi" de l'histoire et la validation par une instance externe des responsabilités et des torts. Le consommateur n'a pas cette liberté de créer ce champ de neutralité et de temps, c'est à d'autres instances, institutions de le faire pour lui. Dans un monde où cette neutralité est érigée en seule force permettant de mettre à jour la vérité. Nous n'y sommes plus, il nous faudra créer autre chose.EG