Un jour, il est raconté que Monsieur, frère du Roi Louis XIV, avait par mégarde marché dans une substance qui rougit les talons de ses chaussures. Tous les regards se tournèrent vers ce qu'ils imaginaient être un caprice marquant le goût du jour du frère cadet du souverain et, par une sorte de rituel collectif, tous les hommes revinrent le lendemain avec des talons rouges à leurs chaussures.
Nous sommes, en France, toujours plus ou moins soumis à une forme de participation sociale, dans l'exhibition des goûts comme dans celle des pensées, qui se contente de tourner autour du centre que Paris et sa cour ont accaparé depuis des siècles.
La façon dont ce mouvement à la fois centrifuge et centripète régit notre vie politique et culturelle a été présentée comme une des caractéristiques du pays lui-même, La France, au moins dans son propre imaginaire et dans celui des promoteurs internationaux de ses spécificités, c'est Paris.
Et même si, le filet des connexions aidant, cette prévalence peut sembler moins présente qu'elle ne l'a été, on peut aisément ramener tous les signes ostensibles de la vie culturelle, politique et sociale aux divers rassemblements d'une cour plus ou moins close sortant du choix entre amis des grandes écoles, se retrouvant sur les plateaux, imprimant sur les murs de ses rues les mots d'ordre, mobilisant les cohortes de ses bouffons, artistes, philosophes, chroniqueurs autoproclamés et maintenant médecins pour donner au peuple le point de vue dernier né enfin correct sur leur vie et les choses.
Les courants de pensées, si essentiels dans les mouvements qui font bouger les mentalités et leurs rapports aux valeurs, aux éthos ou aux comportements de l'ensemble d'une nation sont tous validés uniquement lorsqu'ils s'expriment dans les lieux sanctifiés, et dans un élan à la fois mimétique et normatif, sont ce qui modèle le bien-pensé des autochtones avant d'irradier plus ou moins rapidement "la" province.
L'article, complètement acquis au singulier est en lui-même la marque de cette dépendance historique.
Cependant avoir confié, plutôt de force que de grè d'ailleurs, et au prix de luttes féroces et prolongées dans le temps, à un centre seul, déterminé par décret et loi, la charge d'être le coeur et l'esprit national au détriment de toute cette vie plurielle de la périphérie si diverse et si riche de ses différences, a aussi généré un appauvrissement des créativités territoriales, concentrant, en même temps que la validation nécessaire et unique des divers salons où l'on cause, les limites de la pensée bienséante, des ragôts qui font l'actualité, des rapports de force clos sur eux-mêmes et de leur expression dans les médias, bref, une standardisation de tout ce qui donne à la vie nationale sont battement et la richesse de ses paradoxes.
Même si elle n'est pas clairement perçue, cette cour républicaine, est aussi soumise à l'usure, aux divers sens du terme et les "modes "parisiennes, vouées à perdre de par le bain d'acquiescement où elles nagent, tout de leur acuité, sont aussi le témoignage d'un mélange de vulgarité et de préjugés qui côtoient ou plutôt cotoyaient les prouesses intellectuelles et créatives supposées les plus révolutionnaires et les plus osées.
Mais on doit constater que aucun mouvement coercitif, aucune témérité intellectuelle ne peut survivre et se développer lorsque leur validité est bornée par quelques personnalités de haut-rang faisant l'unanimité de leur adeptes et enfoncées dans leur statut, uniquement soumises au contrôle enthousiaste de leurs pairs.
Cette complaisance élitiste peut être maintenant étendue outre-Atlantique, New York étant devenu la capitale mondiale de la bienséance et les Bons Parisiens aisés devenus citoyens du monde riche, se doivent d'y effectuer leur remise à niveau dans l'Esprit de mode. Mais ceci est une autre histoire.
Ce qui peut se lire dans le duo-duel de ces élections, ce sont ces deux entités, qui peuvent s'étiqueter progressiste vs conservateur mais qui sont surtout les témoignage du décalage entretenu entre "ceux qui savent", élite parisienne drainant la foule de ceux qui s'identifient à ce qu'ils voient, donnant ses points de vue éclairés sur la chose politique quand ses compétences devraient se limiter aux joies du spectacle, monde de la droiture de gauche : jeune, beau, dynamique, et la masse inculte et réactionnaire des habitants d'en-bas, des villes moyennes, des villages, de tout ce terroir dont même l'accent est source d'ironie quand il se fait entendre ailleurs que chez lui.
Avant et plus que d'être la prêtresse des extrêmes maudits et même si c'est ce qui est utilisé comme garde--fou pour les masses, LP surtout, n'est pas "in", n'est pas "tendance", elle a les contours intellectuels du Beauf qui ne peut vivre épanoui qu'à Condé sur Noireau, de tout ce que la Cour politico-spectaculaire rejette au nom de sa haine du "populisme" et maudit d'une vie qui ne pourrait être "la vraie vie" parce qu'elle symbolise l'ennui ou les modes traditionnels surannés présents dans "la France profonde".
Une des forces de Gilets jaunes, évènement politique et social exceptionnel à cet égard, a été la levée en masse de la réalité de cette vie-là, sa capacité à s'organiser sans se déterminer un chef, même si certains ont immédiatement cherché à monter au créneau du pouvoir. Ce mouvement, avec toute son hétérogénéité, ses maladresses a montré que cette France supposée "réactionnaire", cette France démodée, retardée, bouseuse, était avant tout une France politisée, consciente faisant face comme dans tant d'autres luttes paysannes antérieures, au rouleau compresseur de la centralisation des modes de vie, des valeurs et des pensées.