6.08.2022

Choisir son camp

Choisir son camp.
La question d'une sorte de fidélité partisane à un groupe ou un individu politiques s'est posée avec brutalité au cours du mouvement meetoo et de ses répercussions en France. Dans notre approche antérieure à ce bouleversement de posture, les camps étaient clairement identifiés, droite, gauche, progressifs, conservateurs et l'appartenance tout aussi évidente.
Que cette inclination ait par moment amené à exercer une véritable autocensure, et avec elle, les contorsions délicates de la mauvaise foi, n'était pas ou peu une préoccupation. Après tout, mon adhésion au PC, qui n'avait duré que quelques semaines, s'était vue associée au retournement vers le mur de la tranche de Août 14 dans ma bibliothèque, dont mon tout nouveau parti condamnait la lecture : réactionnaire, collaborateur du capitalisme etc.
Mais on ne peut tenter de s'extraire de la vision précommandée partisane sans ouvrir le champ des possibilités que la "vérité" ne soit pas univoque et qu'il soit tout bonnement impossible qu'une seule vision des choses, accompagnée du programme qui la matérialise puisse en tout et tout le temps être dans le juste et l'éclairé.
Il est fort probable que cette vision binaire d'un système où les bons ne seraient que l'opposé des méchants soit un frein absolu, et peut-être sourdement entretenu, à tout réel "progrès" quant aux questions sociales.
Évidemment le dépeçage des illusions est violent, laissant un arrière-goût de trahison à soi-même et les accrochages au réel de la croyance sont douloureux à extirper.
Mais ce qui se profile est non seulement plus intéressant sur le plan analytique, c'est à dire sur la capacité à embrasser, comme on dit joliment, les complexités innombrables du monde, c'est aussi et surtout la seule garantie pour l'accès à la liberté de pensée, c'est à dire à la faculté d’entretenir cette pensée non sur des éléments de positionnement insufflés par les divers schémas d'analyse des références choisies mais sur une dynamique de recherche et d'enrichissement livrée en quelque sorte à elle-même sans mentor.
D'une certaine façon une des illustrations de l'impasse complète et mortifère du binarisme en politique, est la façon dont les USA ne peuvent, ne pourront jamais régler, c'est à dire rendre moins néfaste, la problématique des armes. L'ouverture à l'argumentation de l'autre comme envisageable, négociable, possible est complètement enterrée sur la préconception absolue que le point de vue de "l'opposition" est mauvais ; pas faux, pas mal documenté, mauvais. Nuisible. Comment laisser un espace de réflexion pour ce qui est supposé être nuisible ?
On trouve le même envasement pour le droit à l'avortement, sans cesse remis en cause et sans cesse défendu de la même façon par les mêmes arguments.
Ce que nous tentons de faire valoir ici, c'est que aucun porte-parole d'une vision du monde avec ses codes, ses intérêts, ses valeurs, ses croyances, ses projets et sa construction fantasmatique de l'avenir ne peut entièrement répondre aux questions incessantes du monde sur lui-même.
Que quand cette même parole est prise au comptant, dans son entièreté, elle n'est plus une sorte d'aide à la construction de notre propre réflexion et de notre posture à construire au mieux en connaissance de cause mais un dogme à suivre, une évangile à imprimer sur nos doutes.
L’exemple qui peut faire cas d'école de ce point de vue est la façon dont des peuples entiers se sont aliénés à l'idéologie communiste en ne glanant de la réalité et de ses interférences innombrables de paramètres obscurs et difficiles à appréhender que la vision, fortement simplifiée et pleine d’ambiguïté, de Karl Marx.
Qu'il ait eu la capacité à mettre en avant les liens de domination agissant à une certaine période et selon un certain modèle de structure de pouvoir est incontestable.
Mais cette analyse s'étant projetée dans la réalité comme une leçon de fonctionnement social et économique idéal, avec un objectif mythologique impossible à atteindre, comme ceux des religions auxquelles il a fini par s'identifier, a débouché sur un désastre et prouvé qu'une seule vision, une seule analyse étaient les garanties d'un glissement par la force dans les pires totalitarismes.
Alors plutôt que de pointer tel ou tel "réactionnaire", "bigot", "conspirateur" a priori parce qu'il n'incarne pas notre côté de la vérité sur terre, on peut tenter de faire pivoter les perspectives : on n'écoutera pas des "gens", on ne lira pas les productions de ces "gens", on se focalisera sur ce qui point par point, dans l'infinie variété offerte par les interactions humaines et la diversité de leur mise en culture, peut être un élément d'entendement ou de lutte, une façon de ne pas sombrer sous le joug des idéologies de la lobotomie globale.
Ceci pour évoquer l'intérêt à porter au film "What is a woman" de Matt Walsh. Clairement revendiqué et défendu comme membre, brillant, de la mouvance conservatrice américaine, et donc fustigé en tant que tel, a priori quoi qu'il dise, par la gauche progressiste omnifaiseuse de bienséance morale.
On peut ne pas adhérer du tout à sa posture religieuse, à ses positions sur le féminisme, le rôle social des femmes et l'avortement, mais ces mêmes positions ne doivent pas compromettre l'intérêt à porter à d'autres aspects de son travail et de celui du Daily Wire. C'est dans ce contexte de choix éclairé qu'il faut se placer, sorte de recherche du moindre mal et hiérarchisation personnelle des urgences.
Penser, se placer par objets d'intérêts, de recherche de contre-offensives intellectuelles et morales à des mouvements culturels évidemment tératogènes pour notre espèce, quels qu'ils soient, et non par dévotion à une appartenance.
Se dire aussi qu'un modèle unique, fourni par les fantaisies de tel ou tel auteur à tel ou tel moment de l'histoire peut permettre l'appréhension de bribes infimes de la réalité mais ne pourra jamais lui servir d'entendement total pour décrire les soubresauts du monde, et, que ce modèle soit politique ou religieux, est voué inéluctablement à la moisissure ou au dessèchement à se frotter au cours du temps. EG

Ce qui ne nous tue pas ... N°2