6.26.2022

La chasse aux vieux N°4

La chasse aux vieux N°4
La pression incessante qu'exercent les flux sur la construction individuelle de la réalité opère des recouvrements d'évidences.
Il suffit certainement d'assez peu d'injonctions, de reprises sur les vecteurs de représentations socio-médiatiques pour que s'aplanissent les éventuelles questions sur la nature ou le bien fondé de telle ou telle posture, et pour qu'elles laissent la place à des nouvelles représentations qui sont immergées dans les discours de la masse.
On postule dans ces flux l'existence de "goûts" spécifiques liés à des tranches d'âge plus ou moins bien circonscrites.
Le modèle de cette catégorisation qui porte en elle une totale confusion agrémentée d'une sorte de liste de points de butée est celle, maudite des " boomers" dont la réalité statistique oscille dans le vide entre les plus de cinquante ans et les centenaires, seule, accrochée à ses prérogatives scientifiques comme à un os, et sans jamais se questionner sur la validité d'un classement aussi et uniquement lié à des critères naturalistes.
La "culture" donc, aurait disparu dans la simple adhésion à des penchants déterminés par la génétique et les horreurs du vieillissement, condamnant tout ce qui se dit, se fait, se revendique à ne plus être apprécié pour sa qualité mais en fonction du public "ciblé" comme le désigne la bible du marketing qui le considérerait comme sien.
Évidemment là encore nous nous trouvons face au cul-de-sac de la perversité des marchés.
Désigné comme "pour les jeunes" et induisant "chez les jeunes" le choix qui a été désigné parce qu'il est leur est destiné et le tout venant donc corroborer le dessein initial.
La messe est dite !
C'est aussi postuler que le "goût" des "jeunes" ne peut exister qu'en plébiscitant ce qui leur est directement offert, n'est apparemment et explicitement offert qu'à eux et que leur statut ) ne peut se défendre que si ils cooptent cette denrée culturelle.
Ce qui importe, ce n'est pas cette denrée mais le fait qu'elle soit, encore, ciblée, c'est à dire que d'une certaine façon, elle n'a pas à faire de preuve de sa qualité, de la dimension créative ou originale de ses contenus puisqu'elle est validée AVANT d'être consommée et que c'est la consommation qui en elle même la valide.
C'est évidemment faire peu de cas de ce qui , dans le "goût" se construit, se forme au cours du temps et d'autre part, encore moins de cas des potentiels de cette dite "jeunesse", terme lui aussi si vaste que les échos dans sa sphère rendent sourd et muet.
C'est aussi, réduire le fait que les "autres" , c'est à dire les " vieux", la tranche historiquement nommée "adulte" ayant comme disparue des flux, puissent, par intérêt ou par goût demeurer attirés aussi par ce qui se propose de "nouveau" à la condition que cela soit... bon.
La culture, c'est avant tout l'étonnement, et cela n'est pas une affaire d'années au compteur mais un question de rapport quasi intime entre les offres de créateurs, de tous âges, et votre propre sensibilité.
Le tri qui s'effectue lors des rencontres entre ces artistes ou créateurs et vous-mêmes devrait être le moment d'un choix, d'un tri préalable effectué à partir de la capacité de chacun être éclairé, à être un amateur éclairé, ce qui n'a pas d'âge mais se forme.
Le béton armé du post modernisme, le discours pesteux comme le nomme Lacan, a cet incroyable pouvoir de substituer ses produits à cette démarche, absolument solitaire même si elle demeure immergée dans les "airs du temps", qui peut offrir la chance, le bonheur, la joie à un adolescent de quinze ans de vouer à Barbey d'Aurévilly ou à Colette une sorte de passion parce qu'il y trouve quelque chose de lui-même, ou de ce qu'il projette de lui-même et à tout sexagénaire de continuer à les apprécier pour les mêmes raisons.
Il est impossible et mortel pour l'esprit de vouloir faire croire que la notion de "dépassé" puisse s'appliquer à la construction de la culture et à sa capacité à être à la fois uniquement internationale, uniquement atemporelle et ait vocation à n'être que le témoignage des mouvements complexes, sporadiques, plus ou moins bien mis en scène suivant les époques et surtout les individus qui l'endossent, de l'aventure humaine. EG
 
 

Ce qui ne nous tue pas ... N°2