L'élément des mouvements sociétaux engendrés par les choix dits "politiques" qui a le plus d'impact sur les esprits est certainement leur capacité à projeter les fantasmes de destruction, de manipulation, de toute-puissance quasi théologique sur "ceux qui" mènent apparemment le chaotique et irrationnel bateau du monde. Les grands concupiscents qui tirent les ficelles, sortent leurs épingles du jeu, nous attrapent par les cheveux qu'ils nous tondent, tout cela englué dans nos propres velléités mauvaises, notre propre appétit pour la fin tragique et la salivation face aux douleurs.
Le tout de cette impuissance est particulièrement ardu à contrer, pris qu'il est dans les injonctions permanentes au bonheur, dont , au moins lui, nous serions tous à titre individuel responsables.
Notre devoir, notre ascèse, finement emmêlés aux multiples diagnostics de ce qui cloche et de son traitement, aux actions multiples elles aussi facilitant l'accès à la quiétude et à la liquidation des tensions grâce à quelques circonvolutions de la colonne et de grand pans de consciences frigidifiés par la méditation.
Autrement dit, la catéchèse qui dit : tout est là pour toi, pour que tu sois zeureu, sers-toi, applique-toi à t'appliquer au bonheur.
Bien sûr comme cette affaire est tout de même un peu plus compliquée qu'une seule injonction de marketing, on a à disposition, sur un des points qui demeure assez vague : la question obnubilante du "Qui suis-je ?" qui rendrait l'affaire plus rapidement réglée, un tas de réponses colmateuses : le panel extensible à merci des "troubles", "déséquilibres chimiques du cerveau", hissant la sophistication de l'inventaire du pathos au rang de la mécanique quantique ou presque et permettant à chacun de "s'en tirer" c'est à dire de ne plus avoir à tirer sur le fil de sa responsabilité de vivre pour se voir attribuer ou s'auto-attribuer puis se donner à voir au monde lui-même dans un des petits tiroirs de la mythologie cérébrale faisant office de mystique accessible à tous.
On a aussi l’ineffable recours au retour aux sources, en réécrivant l'histoire tout en permettant de croire pouvoir effacer des générations entières de maudits qui avaient tous tout faux pour ouvrir enfin les horizons des mondes meilleurs.
On peut même se faire castrer pour des sommes modiques afin d'ajuster l'ensemble impeccablement une bonne fois pour toutes.
Malgré tous nos efforts pourtant, on a la sourde certitude que là ou parti, d'une certaine façon c'est tout pareil au vu de la quantité de voisins peuplant la surface de la planète, on se sent comme pressés de vouloir en finir, pour vider la place afin de ne conserver que certains actifs et encore, tout en gardant cette certitude que, quelle que soit votre application à la mener gentiment au port, vie ou pas c'est pareil et la seule issue pour la grande gestion des ressources est de la voir le plus vite possible effacée des données.
Alors bien sûr il est tout à fait difficile, délicat de se creuser une petite place tout le temps que ça dure et de s'y trouver légitimé en sentant tout de même l'appel du vide qui l'entoure, difficile de simplement regarder tout le merdier, excrément nauséabond recouvrant la pente sans, d'une façon ou d'une autre, se voir happé, se sentir glisser tout entouré par les immondices et s'enfonçant dans une culpabilité laxative qui s'impose par le penchant de tout un chacun aux positions philanthropiques.
Comment donc pouvoir résister ?
Comment donc pouvoir redresser au moins quelques cervicales face à ces tractopelles de l'apocalypse ?
La seule résistance, du moins celle qui pourrait conforter, rendre forte toutes les autres et leur revers d'impuissance, celle qui est sans prix, absolument intouchable par qui que ce soit à part soi, c'est la goutte précieuse de la JOIE DE VIVRE.
Pas du "bonheur", qui tel le Saint Graal, s'attacherait à on ne sait quel but à atteindre mais dans l'immobilité attendue de l'entourage et de l'environnement ou à une certaine finalité définitive possible, un mouvement donc vers ce qui de toute façon est inconcevable au sens où sa dynamique même est d'être nourrie par le manque.
Non, pas le "bonheur", quelque chose de plus brutal, radical, comme une copulation reconduite avec l'appréciation de cette énorme chance d'être là et d'utiliser ce temps pour se le dire en triant les déchets, les vilénies, les excroissances perverses pour nettoyer la place attitrée du bel échange entre le monde et soi.
La culture de l'épatement, de l'étonnement, de l'enthousiasme quoi qu'il en soit... et la certitude que cette joie de vivre "malgré tout" est une des seules antidotes aux motions mortifères de cette étrange espèce adorable, si fort amourachée de sa propre destruction à n'importe quel prix, comme en soulevant sans cesse les pierres du chemin parce qu'en dessous dort toujours une surprise, dans le bruit infect du monde, dans la médiocrité érigée en culte et dans la violence et le mensonge, chérir cette étincelle de la joie de vivre, et la restituer pour éclairer et regarder sans répit l'extérieur, laissant les ombres portées des narcissismes un peu quiètes, se laisser nourrir et surprendre par tout ce qui n'est pas soi. EG
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