Plus la sensation de vertige est intense, plus on s'accroche aux branches qui semblent les plus résistantes à l'appel du vide.
Il est probable que nous, "nous" en tant que fruits de la culture occidentale, greco-romano-celto-germano-judéo-chrétienne, ayant essaimé un peu partout sur la planète et donc imposé avec plus ou moins de succès sa vision du monde.
Les lumières, Descartes, Pascal et de l'autre côté de la Manche, Adam Smith tentant de se frayer un chemin dans la mixture indicible du bien et du mal, de la main divine et de l'incurable dépravation de la nature humaine pour aboutir, si on peut qualifier ainsi le point de butée politique que nous sommes tenus d'aduler et qui nous étouffe sous les vapeurs de ce que la "Démocratie", pur produit de l'Occident et sorte d' horizon à atteindre pour tous ceux qui faillissent , est devenue, qui a complètement cédé aux mirages des possibles et des fantasmes de quelques Concupiscents, à leur rapport obscène à l'avoir et à la réussite signifiée uniquement par l'amoncèlement des richesses, à la perversion latente de tous les rapports de la société civile avec ses médias, ses idoles et ses édiles.
Certains termes qui nous furent si chers, "Honneur","Dignité" autrement dit l'existence de denrées qui ne peuvent s'acheter mais servent d'étalon et de compas aux conduites dites "morales" sonnent comme des conques vétustes, tant que la plupart auraient bien des difficultés à leur donner un contenu lié à leurs attitudes, sauf bien sûr quand il s'agit de vous aider à passer l'arme à gauche, moment où on vous autorise à "mourir dans la dignité", faute d'avoir pu vivre avec elle.
Et sentant sous les pas le sol qui semblait, même faute de le montrer, au moins conceptuellement sûr, de la notion de "peuple" se dérober, représenté et représentable par certains mandatés, nous avons avec une anxiété mal déguisée, couru nous réfugier dans la forteresse de nos croyances.
Nous avons donc, sentant à peine la fraîcheur du modèle binaire nord-américain suinter ses gouttes de Redbull sur notre histoire, petit à petit rétréci nos conceptions de ce que peut être une "république", une "chose publique" où seul resterait concevable le "public" mais où la "chose" aurait disparu et nous en venons à tout confondre.
Nous confondons, sursollicités, pris dans les mirages spéculaires incessants qui nous donnent une sorte de carte blanche pour nous fondre dans les causes et dans les personnes à l'infini, et vivre avec tel ou telle, politiciens professionnels, amuseurs, stars diverses en mal d'éclat, animateurs de la voix de son maître, influenceurs, journalistes conteurs de fables, tous écrasés au même niveau de libido projective, une sorte de passion digitale, assommés de surcroît sur notre temps libre à longueur de vidéos d'experts en géopolitique fraîchement auto-mandatés, à peine rasés, installés dans leur cuisine et sentant la sueur jusque sur nos écrans, qui pullulent sur les canaux comme des mouches sur un cadavre, et qui petit à petit forts de notre passion voyeuriste nous ont progressivement tous et ont tout aplani, oui, tout.
Tout, c'est à dire la différence entre la connaissance, le travail quotidien pour l'aborder, ce qui ne signifie pas, loin de là, la maîtriser jamais, et l'incurie la plus rustique, l'évènement passant sous nos yeux et le fait précurseur, la toxicité des idéologies de la contre-façon post-humaniste et les bords flous de la notion de "changement" tout comme celle plus exigeante de "progrès".
Aplanie aussi la nécessaire ébullition des questions sur des sujets fondamentaux : la vie, qu'est-ce que c'est ? Et la mort ? Et la reproduction ? Et la passe ? Et la lignée ? Et le droit ? Et la responsabilité ? Et le travail ?
Questions fermées, closes et réduites à des conclusions, postées en ligne et dont plus personne ne se demande la légitimité ou même l'origine.
A toutes les situations qui impliquent une prise de position législative autour de ces questions, c'est à dire la marque d'un pouvoir régulateur qui mette des limites ou offre des possibilités protégées par la loi, on se replie, on s'aplatit et on se replie : chacun dans son camp.
Les " pour" et les " contre".
Alternative qui, à titre d’exemple récemment mis comme on dit "sur le tapis", donne quelque chose qui, tout de même, pourrait sembler sémantiquement aberrant si on était moins usés, comme la revendication d'être : "Pour l'avortement".
Cette bivalence presque omniprésente induisant dans chacun une sorte de mission sacerdotale à l'égard de "son" option, offre un ennemi privé aisé à circonscrire, dont jamais on ne prendra la peine ou comme disent les Anglo-saxons, toujours plus proches du pragmatisme de l'efficacité que nous ne le serons jamais, le temps, d'aller écouter ce que cet infâme pourrait avoir à nous dire, nous qui sommes décidément rangés jusqu'à notre propre disparition au cœur assez nébuleux du Bien qui nous protège, nous permettant de mettre en scène une appartenance factice mais rassurante.
Voilà, c'est fait. L'histoire de chacun et de son errance politique, engagement, simple inclination, se resserre autour de slogans, encore une fois binaires pointant les "réactionnaires" et les "progressistes". Nommés différemment suivant le niveau d'adrénaline que la clôture définitive du débat fait monter dans les veines.
Mais donc, la "vérité" serait aussi aisée à circonscrire ?
La vérité et sa quête aussi radicalement accessibles que ce qu'on peut en croire ?
Il suffirait de poser son dévolu sur un "courant", un "mouvement", de jouer les identifications avec quelques-uns des représentants de la bonne parole, quelques majeurs donneurs de leçons philosophiques devant l'éternel, de les citer quand on a encore un peu de mémoire, pour se créer sa propre posture, bien solide, bien stable au sein des tourbillons nous encerclant ?
Il suffirait de croire, de défendre cette croyance pour se ranger, s'apaiser, croire comprendre ?
Peu touchés au fond par les nombreux paradoxes nous obligeant à si souvent faire fi de notre simple logique, celle qui pouvait se dire dans les temps anciens, comme "sagesse populaire", pour adopter-nous adapter à ces dévolus sur lesquels on ne reviendra donc plus ...jamais.
Presque étranglés par les radicalités nécessaires, et avec elles la mauvaise foi qui les soutient, près à vendre notre âme à qui veut l'acheter et ils sont pléthores.
Au fond, il suffit pour croire y croire de suivre le mouvement, ce qu'on qualifie de mouvement, c'est à dire ce qui bouge sans cesse grâce au reniement constant de ce qui fût au bénéfice de ce qui est, sans même se rendre compte que ce qui est désigné comme "moderne" est dans son essence voué à se dégrader dans les soutes peu oxygénées du capitalisme de la "révolution passive" comme la nomme Gramsci en parlant, du fond de son cachot, de la force spécifique du capitalisme qui ne meurt pas ni ne se rend non plus mais s'adapte.
Et comme la dimension de la possession de "biens" ne fait plus autant fureur, il suffit de tendre un peu le peu d’ouïe qu'il nous reste pour l'entendre nous chanter les cantiques de la révolution anthropologique qu'il nous concocte et ensuite, de nous y précipiter toujours pointant de notre donjon progressiste, les retardés, les vétustes, les délabrés, les réactionnaires, quoi que ceux-ci dans leur ignorance crasse puisse avoir à dire quant à la marche de leur histoire. Si celle-ci à une marche, elle ne peut qu'être en avant, même dans l'ignorance de vers quoi et nous la ferons sans eux. EG