Ce sera tout à fait comme à la radio.
Rien de plus difficile que de se tracer une voie qui remonte le temps et cherche à identifier les sources des aliénations, ressenties avec leur banalisation comme l'usage d'une simple habitude, dont la nature du rapport de pouvoir a pu ainsi être digérée sans devoir plus jamais vraiment réveiller de crampes.
Communication : " La question du pouvoir est si bien cachée, dans les théories sociologiques et culturelles, que les experts peuvent noircir des milliers de pages sur la communication, ou les moyens de communication de masse dans la société moderne, sans jamais remarquer que la communication dont ils parlent est à sens unique, les consommateurs de communication n'ayant rien à répondre." Guy Debord
Les affres de l'habitude sont résistantes à la question des causes de l'usage et de sa transparence.
J'écoute... la radio.
N'importe quelle station de radio, avec un penchant pour celles qui peuvent me donner en miroir une image de "mon style" et à qui je confie une partie importante de mon temps dit "libre", trajets pour se rendre sur les lieux de travail, déplacements divers, moments de la vie privée ou professionnelle où elle accompagne "en fond" les activités quotidiennes.
Quelqu'un, quelque part, décide de présenter les choix musicaux, les thèmes de débats et leurs participants, les narrations, les exposés, et bien sûr les "informations", (on laisse de côté le temps de martelage incessant consacré aux promotions, énoncées à toutes blindes de tout produit vendable) tout ceci comme un contenu venu de nulle part mais valide a priori et immédiatement acceptable, assimilé, accaparé par la fibre molle et indéfinissable de l'auditorat.
Tout ceci, parfois dès le réveil, c'est à dire avec la virulence de tout ce qui peut s'imprimer sur les cortex encore brumeux et disponibles.
Ça parle, ça me parle, et ça choisit absolument tout de ce qui est supposé m'attirer, me capter, m'intéresser, me ragaillardir, me tirer de la dépression ou remettre en selle ma vie sexuelle sommeillante ou ma volonté de perdre du poids.
Ça parle et ça informe, ça élabore des analyses avec la maîtrise supposée de tout spécialiste en tout, convoquant parfois quelques experts afin d'étayer et de donner la patine du sérieux aux ondes.
Émettre, largement, sur ces ondes dont l'usage a évidemment de par sa primeur été ressenti tout d'abord comme une révolution, peut-être aussi, par certaines rares âmes chagrines et réactionnaires, comme une intrusion dans l'espace de silence ou d'échanges réels nécessaires à mettre en mouvement une pensée à partir d'un savoir acquis par l'Expérience et le dialogue.
L'élément totalement nouveau, dans ce contexte, est le fait qu'un mode de relations tout à fait inédit s'est instauré, univocité tout bonnement inconcevable préalablement.
Une parole, des sujets d'intérêt ont été imposés sans que la nécessaire question de leur importance dans la vie de leur récipiendaire ne se pose.
Importance, c'est à dire, sans sa volonté, avant d'avoir ces réponses formulées sans lui, de les entendre comme réponse à ses questions.
Importance comme possibilité dans ces sujets, autour de ces thèmes ou de ces choix musicaux imposés de donner son accord, de poser des questions qui s'intègrent dans un schéma de discussion duel où, comme dans la plupart des situations quotidiennes les individus se parlent, à tour de rôle, mettant en œuvre ce qu'on qualifie "d'échanges".
Dans ce contexte de parole diffusée, la question de l'auditeur est une question de surface blanche sur laquelle se dépose des contenus non discutables.
Un contexte aussi où rien n'est jamais précisable, répétable ou soumis à une contre-argumentation.
Autrement dit un contexte sans contexte autre que la manifestation d'une toute-puissance émettrice qui, même lorsqu'elle est requise dans le cadre des cultes religieux, laisse l'auditeur responsable de souscrire par des "amens" aux rituels dogmatiques auxquels il accepte de participer. Pas même la possibilité d'être celui qui répond aux questions du maître, la possibilité d'avoir des choses à en dire étant éliminée par le dispositif lui-même. Ni celle de balancer fruits pourris ou huées si les choses vous exaspèrent.
Nous trouvons aussi souvent, pour faire comme si ce n'était pas si chosifiant, les interventions de quelques auditeurs élus qui exposent leurs problèmes, leurs doutes, accompagnés par une sorte de condescendance à peine voilée mais toujours équipés du statut de personnes aidables, infériorisées et comme toujours infantilisées donc face au tout-savoir postulé de l'animateur.
Il va de soi que cette forme d'émission de contenu non discutables matériellement autrement que dans la fermeture du bouton ou le jet à travers la pièce de la radio en question a sévèrement induit sur le long terme des comportements de passivité et d'infantilisation, attribuant à des forces obscures le droit, la capacité, les compétences de décider ce qui devait amuser, cultiver, développer les compétences de leur auditoire.
Cet auditoire n'ayant en retour aucune possibilité de "la ramener" c'est à dire de se construire sur ces choix une posture indépendante et de s'imposer comme interlocuteur.
Bien sûr l'inclusion des images sur ce monde dispensateur est la suite de ce feuilleton de la mutité et y inclut le rapport délicat et métastasant entre voyeurs et exhibitionnistes. Ce n'est pas une autre histoire. EG