On a cru
N°7
On a commencé à exhiber nos points de vue sur nos chemises, un vent venu d'Atlantique nous habillait de son souffle depuis longtemps et nous nommions ces vêtements mous et flasques des souetcheurtes, bombant nos torses afin que tout individu croisant notre chemin voit aisément à qui il avait affaire.
C'était de courtes sentences, sur le sexe, l'intelligence, le racisme, la bonne humeur, la lucidité, l'engagement, l'appétit, la musique, tout un échantillonnage de nos vécus, mais sans vécu.
Petit à petit, ces scansions en sont venues à devenir nos pensées mêmes, c'est à dire qu'il nous suffisait de vociférer un ou deux de ces formulaires pour nous donner à entendre comme des explosifs révolutionnaires.
C'était devenu aisé pour tous de faire de la politique, il suffisait d'arborer le slogan adéquat sur un teeshirt et tout y était.
Bien sûr il y avait, avec une forte tendance à l'imitation permettant de s'intégrer sans heurs du bon côté des groupes clairvoyants, une tendance à la limitation, due à l'espace étroit sur lequel devait figurer nos élaborations, et, donc, nos élaborations se réduisirent petit à petit à ce que cet espace pouvait contenir.
Le plus simple était l'élimination totale de toute antithèse, de tout contre-argumentaire, de toute contradiction qui nous apparurent au bout d'un certain temps une simple perte de temps et d'énergie et qui, de plus ne semblaient pas avoir fait les preuves de leur efficacité dans la conviction.
Nous voulions être convaincus , ça c'était simple, mais surtout, intensément, urgemment, convaincants, nous voulions que ces stances puissent être encaissées comme des coups de poing dans l'ignorance de tous ceux qui hésitaient, de tous ceux qui étaient, c'était les pires, indifférents à nos multiples causes.
Ces bréviaires portés à fleur de peau, un peu comme les pancartes d'un défilé permanent de contestation, pour assurer leur efficacité, étaient souvent formulés sur le mode péremptoire de l'injonction. L'impératif, c'était un vrai plaisir. Un ordre à créer sur les cendres du vieux monde uniquement fait de préceptes sobres, un ordre donné en donnant des ordres.
Sur de si courts libellés aisément mémorisables, nous devînmes certains de jamais plus devoir nous tromper, la vérité est sommaire ou elle n'est pas.
Certaines fonctions en furent réduites à peau de chagrin, comme disons, la capacité à douter, celle à introduire les nuances nécessaires à l’approfondissement de l'analyse mais nous n'analysions plus donc tout allait bien.
Les voies que nous empruntions pour exhiber nos convictions devenues inébranlables à force d'avoir pu isoler et dénier et rejeter de nos consciences mêmes tous ceux qui pensaient trop, tous ceux qui pensaient mal, tous ceux qui n'avaient pas les mêmes codex que les nôtres, ces derniers étant bien sûr les ennemis de nos causes les plus faciles à exterminer parce que les plus faciles à appréhender.
Le "je pense donc je suis" avait enfin pris, à se frotter aux limites de la post-modernité, toute sa pertinence, chacun était devenu les quelques clichés pourfendeurs de la réaction qu'il présentait à ce monde s'étant depuis si longtemps fourvoyé.
Nous arrivions avec une théorie de l'efficacité dialectique qui détrônait tous les lettrés que la terre avait portés jusque-là.
Ça s'appelait une ère nouvelle, une révolution anthropologique et c'était le début d'un chambardement absolu dans la notion devenue obsolète de vérité elle-même.
Bien sûr certaines séquelles de l'ancien mode de pensée subsistaient, avec leurs fortes tendances au déploiement, à l'argumentation, les "oui mais" qui venaient ralentir nos avancées vers la synthèse pragmatique absolue.
De toute façon, comme il nous était devenu, par ce total rétrécissement de nos aires de Broca, totalement impossible de développer quelque prolongement que ce soit aux divers aphorismes occupant nos sweatshirts et nos cortex pariétaux, nous avions recours rapidement, lorsque nous devions répondre à des mouvements ou à des questions rétrogrades, à l'efficacité de la violence, au fond seule réponse plausible lorsqu'on est dans son bon droit et qu'on porte sur ses épaules la responsabilité d'un monde meilleur. Notre panel de réponses était simple : signalement, censure, harcèlement, menace de mort, tout un appareillage sémantique aisé à manipuler et ne demandant qu'un recours réduit aux explicitations.
Nous avions également fait l'impasse sur tout ce qui devait s'appuyer sur des chiffres, l'évocation de dates ou de faits, ou l'usage de références tirées d'auteurs que nous ne lirions de toute façon jamais.
Quelques aphorismes bien sentis nous suffisaient, aisément glanés sans l'embarras du protocole, sur des liens tous accessibles sans fatigue intellectuelle inutile. EG