11.11.2022

Cochon mon frère N°2

Cochon mon frère N°2

En lavant les deux maquereaux, c'est à dire en les éviscérant, jetant leurs entrailles à la poubelle et les passant sous l'eau pour en faire le repas du soir, tout le caquetage des défenseurs du "bien-être" animal, terme repris dans sa toute-puissance totalitaire à la pratique du dogme positif, m'encerclait. C'est ça qui est devenu impossible, regarder ce que se nourrir a nécessairement de temps fusionnel avec la monstruosité du sang et de la mort.
Nous sommes aux confins de plusieurs bascules anthropologiques majeures, toutes fortement appuyées par les diktats idéologiques de ceux qui savent et payent pour diffuser ce savoir sur l'homme global et son destin.
Toutes ces forces se rejoignant dans l'accès de plus en plus massif des récepteurs maintenant programmés, aux arguments sensibles des promoteurs de l'hygiénisme moral ont tapissé les esprits des masses avec tant de régularité et d'obstination que comme dans toute catéchèse, les adeptes ont fini par être castrés de tout recul et de tout sens critique et persuadés de devoir "agir" au nom de tout ce qui se lève comme victime à protéger contre la malveillance humaine devenue sorte de légende et nouveau credo du "changement" nécessaire pour s'en extirper enfin.
De cause en cause, la passion purificatrice a balayé devant les portes de l'histoire, se plaçant comme muse du renouveau après des millions d'années de totale obscurantisme et sommant au nom du bien et de la compassion qui l'habille tout un chacun de "prendre parti" pour la défense des innocents contre les postures arriérées et dépassées de ceux qui ont raté le grand train du progrès.
Et de cause en cause, on en arrive à toucher le fond, c'est à dire le nœud même de ce à quoi on ne peut plus s'affronter autrement que dans le déni : la mort, la violence de tout ce qui nous fait et nous porte lorsque celles-ci sont face à nous "pour de vrai".
On ira jusqu'à entrevoir des liens entre les fantasmes techno-transhumanistes d'immortalité et ces levées de boucliers contre la mort donnée pour se nourrir. Au fond, ce qui est à éliminer dans les deux cas, c'est la mort, celle des viscères, des corps qui se débattent, des cris et de la douleur, au profit d'un monde où elle s'est immobilisée à l'infini dans les cubitainers de la cryogénisation.
On ira aussi jusqu'à relier ce tabou de l'agonie avec les impositions multiples du Code Haynes, comme tout autant de préceptes religieux non frangibles et le fait que dans la plupart des films hollywodiens où, pourtant, les coups de pétards prolifèrent, on n'assiste jamais à l'agonie. Le coup part, élimine l'ennemi sans bavure, c'est à dire sans ce temps infiniment troublant et horrifiant qu'il nous est insupportable de voir quand il s'exhibe dans le couloir de la mort de l'abattoir.
Nous faisons face, grâce à un public zélé et modélisé par l'esprit de mode, à des décennies de poisson pané cubique, de cuisses de poulet pré-coupées sous plastique, de steak haché pour hamburger avalés par des individus qui n'ont jamais vu un bovin autrement qu'en croisant un troupeau paissant près de l'autoroute et pour qui les seuls animaux vivants, les "vrais" sont ceux qui les soutiennent dans leur quête existentielle, font comme eux des allergies à leurs propres poils et des dépressions accompagnées de crises d'angoisse, ceux qui ont comme destin de leur tenir compagnie au côté de leur immense solitude et non ceux qui sont élevés pour qu'on les mange.
Le rapport à l'un des deux groupes, rapport a priori supposé bienveillant sert de référence dans le brutal et global goût collectif pour le sauvetage de toutes les bestioles du monde, laissant sourdre une volonté encore une fois nivellante qui voudrait mettre tous les "sentients" au même niveau et leur créer la même finalité sans prendre en compte qu'à moins d'accepter d'élever à demeure un troupeau de chèvres ou de Blondes d'Aquitaine dans son salon, la domestication à usage alimentaire ne peut disparaître qu'en entrainant la disparition de tous les animaux qu'elle cherche à sauver.
Mais ce n'est qu'un des nombreux paradoxes de cette croisade qui assimile les abattoirs aux camps de concentration sans même rougir, du monstrueux de la comparaison, y trouvant une manifestation identique de la "cruauté" humaine. Et cela prête à des amalgames et des confusions qui pour ne pas se démontrer sont condamnés à se cacher derrière des prières, entre parenthèse souvent, comme l'étaient les dames patronnesses, féminines, sur la "cruauté", sur " l'innocence" sur les "cadavres" dans les assiettes etc.
Il y a plusieurs points s'entremêlant dans ces exhortations morales au véganisme seul porteur d'avenir, tout comme ce qui est reproché à l'élevage, et pas seulement intensif, est condamné à mélanger des arguments pour se légitimer. La cruauté. la cruauté. la cruauté. La planète. La planète. La planète et tout est dit.
Ce qui disparait derrière les envolées disneyiques d'un monde imaginaire où tout finirait enfin bien, c'est l'urgence à liquider l'intensif, dans l'élevage mais aussi dans toute forme d'exploitation sans raison de tout bien. Le progressif rétrécissement des arguments au plan moral, accusant non plus l'élevage mais les abattoirs est une forme de psychotisation de ce qui n'a jamais été , au fond, un débat puisque on n'y entend que des propos moralisant et accusateurs.
C'est aussi une sorte d'aveu sur ce qui vraiment turlupine en arrière-plan : la mort inéluctable.
Que ces animaux puissent n'avoir été élevé que pour cette mort renvoie le sens commun à l'horreur de la place réelle de celle-ci, rendue, à coup de javelisation du sacré qu'elle porte en elle, proprette et anecdotique, tant dans le fait de la subir que dans le fait de la donner. Une génération ou deux broyées par la distance immense avec l'odeur du purin et le chant du coq au matin ne peut considérer le passage à l'abattoir que comme l'épisode d'une série dont on voudrait changer la fin. Comment imaginer que le cochon ne puisse exister que dans le but de devenir un jambon et étape obligée de devoir pour ce faire passer par l'assommoir ?
C'est cette étape "cruelle" qui n'est plus représentable et qui cherche, avec le cadre idéologique et propagandique qui travaille cette sensiblerie collective au corps jour après jour, afin d'imposer ses propres modes alimentaires et leurs profits, et qui se doit d'être évacuée avec l'appui des offuscations et des sentiments faciles d'accès qui dominent notre époque.
Le terme lui-même de "cruauté" renvoie à des volontés conscientes et délibérées de nuire, d'abimer, de détruire qui occultent l'aspect simplement logique de l'élevage et la place des animaux domestiques comme partenaires de nos vies depuis des centaines de milliers d'années.
Ne pas considérer cette présence à nos côtés comme évidente et essentielle crée une impasse sur les réelles améliorations des conditions d'élevage, de transports, d'abattage et sur ce qui peut chercher à permettre à tout cochon d'avoir une belle vie de cochon avant de devenir un porc.EG

Petit conte amiénois Dixième partie