3.16.2023

Et ta soeur


 
 
 
Le ciel est épais et terne, ça compte. On a beau dire, l'absence d'une belle lumière franche pèse à la fois sur les esprits et sur la sensation d'enfermement qu'on peut ressentir quand on vit entre des flancs de montagnes qui imposent leur présence nuit et jour et nous font régulièrement sentir qu'elles ont la préséance.
L'Ardèche est dure, rugueuse et imposante. L'Ardèche n'a pas de route nationale qui la traverse ni de voie ferrée, autrement dit la question des lieux où l'on se rend reste comme une question encore à régler et tributaire pour sa réponse de conditions qui même si personne ne s'en soucie pris dans ses astreintes quotidiennes, nous échappent toutes.
A Lamastre, il y a juste à l'entrée du village un magasin Intermarché "contact", l'épicerie du bourg remaniée "zone rurale". C'est un magasin polyvalent très désordonné dans ses rayonnages, avec de tout un peu et un peu de tout, où chacun vient chercher un brin de son rituel quotidien ou hebdomadaire, une paire de chaussons, un pack de bière, quelques légumes, des collants, une binette.
A la caisse, juste à côté des travaux d'aménagement de l'électricité en cours, je regarde avec attention les visages, et sous le ciel épais et terne, ils me semblent fatigués, marqués, en suspens.
Bien sûr l'alcoolique qui croit encore que rien du travail épuisant auquel elle soumet son foie ne transparait pose sa dose à côté d'un article plus anodin qui est supposé faire oublier la bouteille de whisky qu'elle est venue se procurer et couvrir sa visite, aujourd'hui disons, un paquet de pâtes, la dame retraitée un peu voûtée peine à sortir l'appoint et fait une remarque, toujours la même sur le poids des ans sur la vitesse, l'épouse repart avec une veste polaire rouge toute neuve qu'elle est venue essayer avec son mari.
On reprend la route, à tort peut-être un peu secouée par une sensation d'abandon, de mouvements ralentis de la circulation sanguine comme de celle des envies, quelque chose de lent à mourir.
Dès la sortie du bourg resurgissent les crêtes et les vides au-dessus desquels passe la route longeant des gorges que le véhicule frôle, tirant derrière lui cette énorme quantité de travail accumulée là depuis tant de temps pour ouvrir les ventres des parois, coûte que coûte, à la main humaine. On est bien sûr étonné en permanence par cette détermination si constante à vouloir y aller, à n'importe quel prix qui nous caractérise. Les rebords des ravins sont balisés avec de petits murets qui les longent, eux aussi là depuis tant de temps pour limiter l'appel du vide, rassurer, calmer le léger vertige.
Au bout de quelques kilomètres, ça apparait. Les mêmes caractères de la même taille inscrits sur ces parapets : On est complètement vénère.  Stop au féminicide, Stop à l'homophobie, Sororité, Stop à la transphobie, La dernière heure du patriarcat a sonné.
350 mètres de messages si modernes sur ce petit muret-là si ancien.
L'impression d'être poursuivie où qu'on aille, de devoir opérer, en se replongeant dans le paysage comme un lavement des rétines et d'autre chose pour extraire les toxines et une question, tout de même, aux rédactrices : à qui donc parlez-vous ?
Suivie d'une autre, qui au fond est la même : Qui vous écoute ?